La diffusion ultrarapide du méthane à l’interface des clathrates de glace

Résultat scientifique Atomes et molécules

Une équipe de chercheurs vient de montrer que pendant la coexistence de deux structures de clathrate de glace, les molécules de méthane diffusent remarquablement vite. Ce résultat représente une avancée majeure dans l’étude des propriétés physiques des hydrates de méthane et pourrait trouver une application dans le contexte de l’extraction de méthane des couches d’hydrates naturellement présentes sur Terre.

 

Au fond des océans, ou dans le permafrost des régions polaires, on peut trouver des formes particulières de glaces, les clathrates, qui contiennent de grandes quantités de gaz, notamment du méthane. Formées sous haute pression, ces structures ouvertes piègent les molécules de gaz dans des cages polyédriques qui rappellent les fullerènes (molécules de carbone en forme de ballon de football) et peuvent stocker une ou deux molécules à la fois. De nombreux travaux visent à développer des techniques permettant d’extraire le méthane tout en le remplaçant par du dioxyde de carbone, ce qui a le grand avantage de stocker durablement ce dernier afin d’éviter qu’il ne contribue à l’effet de serre.

L’échange entre les molécules de méthanes et de dioxyde de carbone s’accompagne d’un changement de structure du clathrate. Ces deux structures sont composées de cages polyédriques de deux tailles : de petites cages pouvant contenir une seule molécule de gaz et de grosses cages en contenant deux. Elles se distinguent par la proportion de petites et grandes cages ainsi que par la forme des grosses cages (voir figure). La structure initiale, dénommée SI, composée en majorité de grosses cages, favorise la capture du méthane. Avec le départ du méthane et l’arrivée du dioxyde de carbone, elle se transforme en structure SII, composée en majorité de petites cages, et stockant plutôt le dioxyde de carbone. Les chercheurs ont observé que sous certaines conditions de pression et de température, cet échange se produit rapidement. La raison de cette accélération était jusqu’à présent incomprise, car les expérimentations étaient limitées par la fugacité de la coexistence des deux structures.

En réalisant des expériences dans des presses dites Paris-Edinburg à très haute pression, des physiciens de l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (CNRS/Sorbonne Université/IRD/MNHN) ont stabilisé la coexistence entre les deux structures pour du clathrate de méthane. En étudiant la coexistence entre ces deux phases par diffusion quasi élastique de neutrons, les chercheurs ont observé qu’à l’interface de ces deux structures la diffusion des molécules de méthane est remarquablement rapide, jusqu’à sept ordres de grandeur plus que dans les structures pures. Ce phénomène de super-diffusion serait dû à la formation de nanobulles de méthane dans une matrice de glace amorphe à l’interface entre les deux structures. Il s’agit de la première détermination expérimentale du coefficient de diffusion du méthane dans ces conditions et montre l’existence de phénomènes d’interface méconnus qui pourraient expliquer la facilité d’échange entre méthanes et CO2 dans ces structures. Ce travail a fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Communications.

Au-delà des applications dans la récupération d’énergie, ce travail a aussi des implications dans le domaine la planétologie. Les hydrates de méthane étant les systèmes le plus probables de capture de ce gaz dans la nébuleuse primordiale, ils sont supposés être largement présents dans les corps glacés de l’Univers. La caractérisation des phénomènes de diffusion et de transport dans les conditions de pressions typiques de ces corps (le GPa) est donc fondamentale pour modéliser ces intérieurs planétaires.

 

Un dispositif générateur de pressions extrêmes

L’un des éléments cruciaux pour ce travail a été le développement et l’utilisation d’un dispositif générateur des pressions de l’ordre du GPa (10000 atmosphères), que deux chercheurs de la même équipe ont breveté en 2016 (presse HPQENS brevet n° 1358938). Grâce à ce dispositif, ils ont pu utiliser sur les échantillons la technique de diffusion quasi élastique des neutrons qui permet la mesure la plus directe de la dynamique diffusive des molécules hydrogénées. Les échantillons de clathrate, synthétisés avec un taux de remplissage maximal de méthane à l’université de Goettingen en Allemagne, ont été stockés sur azote, transportés auprès de la source des neutrons, l’Institut Laue Langevin à Grenoble, et chargés dans la presse HPQENS à 80 K. La coexistence persistante des deux structures sI et sII a été observée sur le spectromètre IN6, en réchauffant l’échantillon jusqu’à 280 K à une pression de 0.8 GPa. Cela a permis d’observer une diffusion remarquablement rapide du méthane à l’interface des deux structures.

Image retirée.
Les deux structures de clathrates, SI et SII sont composées de cages polyédriques dont Informations complémentaires les sommets sont les atomes d’oxygène des molécules d’eau de la glace. Les petites cages (bleu clair) peuvent contenir une seule molécule. Les grosses cages (mauve ou bleu foncé) peuvent en contenir deux.

© IMPMC (CNRS/Sorbonne Université/IRD/MNHN)

 

 

En savoir plus

Fast methane diffusion at the interface of two clathrate structures 
U. Ranieri, M. M. Koza, W. F. Kuhs , S. Klotz, A. Falenty , P. Gillet & L. E. Bove 
Nature Communications (2018), doi:10.1038/s41467-017-01167-2 
Lire l’article sur la base d’archives ouvertes HAL

 

Informations complémentaires

Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (IMPMC, CNRS/Sorbonne Université/IRD/MNHN)

Contact

Jean-Michel Courty
Chargé de mission institut
Marine Charlet-Lambert
Chargée de communication