Les rides hiérarchiques du yaourt

Résultat scientifique

En étudiant la croissance d’un biofilm de nature semblable au yaourt, des physiciens viennent de démontrer expérimentalement l’importance des forces de viscosité dans la formation de certaines rides et de mettre en évidence un nouveau mécanisme de contrôle associé à un écoulement de fluide au travers du matériau poreux formant les rides.

Les plis d’un tapis, tout comme les rides d’une peau de pomme séchée, sont dus à la compétition entre un excès de matière et une contrainte qui retient cette matière en surplus. Ces deux dernières décennies, de nombreux travaux ont permis de comprendre la physique des plis et ainsi de prévoir et/ou contrôler la nature et la géométrie des plis dans de nombreux systèmes. Toutefois, ces travaux n’ont considéré que des contraintes « statiques » s’exerçant perpendiculairement à la surface, telles la gravité qui ramène le tapis vers le sol, ou l’élasticité de la chair de pomme qui retient la peau. Dans certaines situations, des rides apparaissent alors que ce type de forces est pourtant absent, par exemple, lors de la croissance des tissus minces pendant l’embryogenèse. Il a récemment été suggéré que ce sont les forces de viscosité qui contrôleraient la nature des rides lors de la phase de croissance. A l’aide d’expériences sur des biogels, des physiciens du Laboratoire de Physique de l’ENS Lyon (CNRS/ENS Lyon/Univ. Lyon 1) et du MADIREL viennent de confirmer cette hypothèse et de découvrir un nouveau mécanisme pouvant prendre le dessus : l’existence d’un écoulement à travers le gel poreux. Ils ont en outre montré que ce mécanisme peut donner naissance à de nouvelles rides apparaissant à l’intérieur des rides déjà existantes, rappelant un effet de poupées gigognes. Ce travail est publié dans la revue Science Advances.

Pour ce travail, les physiciens se sont inspirés de la fabrication du yaourt pour créer des films minces de biogel poreux et immergés dans un milieu visqueux de densité voisine. Dans une cellule composée d’une lame et d’une lamelle de microscope séparées de 100 microns, ils enferment une solution composée d’une protéine du lait, la caséine, et d’un acide retard provoquant une acidification progressive du milieu. Cette acidification provoque l’agglomération des caséines pour former un gel. Dès que ce gel a emplit la cellule, il se détache des parois supérieures et inférieures et se contracte en quelques minutes en un mince film élastique et poreux, épais de quelques dizaines de microns, et séparé des plaques de verre par des couches d’eau. L’acidification se poursuivant, le film de gel regonfle au bout de quelques dizaines de minutes, développe alors un excès de surface et plisse. La conformation du film de gel en trois dimensions est reconstruite par microscopie confocale, une technique d’imagerie donnant accès à l’épaisseur du gel, à sa position entre les deux plaques en tout point et donc à sa vitesse verticale au cours du temps. En analysant la dynamique de la formation des plis et en la comparant à un modèle théorique, l’équipe lyonnaise a pu montrer que la longueur d’onde peut être sélectionnée soit par l’effet des écoulements de part et d’autre du biogel, soit par un mécanisme nouveau lié à l’écoulement d’eau à travers le gel poreux.

De plus, dans cette géométrie confinée, le phénomène de plissement se poursuit de telle sorte que de nouvelles rides apparaissent au sein des précédentes et ce, dès que l’amplitude du plissement atteint la hauteur de confinement, rappelant ainsi des poupées gigognes. Cette étude révèle donc une méthode pour obtenir des motifs de plis concentriques originaux tout en mettant en évidence des mécanismes de sélection dynamique de longueur d’onde susceptibles également d’être à l’œuvre lors de la morphogenèse de l’embryon. 

Image retirée.
Dynamique de formation de motifs dans un film confiné de gel de la caséine. a) Vue de de dessus, les générations successives de rides sont mises en évidence par les coloriages du jaune au rouge. b) Reconstitution 3D par microscopie confocale du gel. La barre d’échelle mesure 1 mm.

 

En savoir plus

Hierarchical wrinkling in a confined permeable biogel 
M. Leocmach1,2, M. Nespoulous1,3, S. Manneville1 et T. Gibaud1Science Advances (2015)

 

Informations complémentaires

1 Laboratoire de Physique, ENS de Lyon 
2 Laboratoire matériaux divisés, interfaces, réactivité, électrochimie (MADIREL) 
3 Liquides aux Interfaces, Institut Lumière Matière

Contact

Jean-Michel Courty
Chargé de mission institut
Marine Charlet-Lambert
Chargée de communication
Communication CNRS Physique