Surprenante contradiction entre faible conductivité thermique des cristaux et longs temps de vie des phonons

Résultat scientifique Matériaux Physique des solides

Un consortium européen de recherche parmi lequel figure le CNRS a obtenu les premières mesures expérimentales des temps de vie des quasi-particules élémentaires du transport de la chaleur, les phonons, dans un cristal thermoélectrique dit de « clathrate ».

La maîtrise du transport de la chaleur par les matériaux et son recyclage constitue un des grands défis face à l’urgence énergétique actuelle. De nombreuses études visent à synthétiser de nouveaux matériaux afin de mieux contrôler leur conductivité thermique. C’est le cas par exemple des matériaux semi-conducteurs thermoélectriques, utilisés pour convertir la chaleur en électricité. Dans les semi-conducteurs, comme dans les isolants, le transport de la chaleur s’effectue par la propagation de quasiparticules nommées phonons, également responsables de la propagation du son. L’aptitude d’un phonon à transporter l’énergie est directement liée à la distance moyenne, appelée libre parcours moyen, qu’il est capable de parcourir sans collision. On a ainsi longtemps interprété la faible conductivité thermique d’un matériau comme étant relié à un libre parcours moyen très petit des phonons. Dans un matériau complètement désordonné comme un verre, on estime par exemple que la propagation des phonons se fait sur des distances de l’ordre de 0.5 nanomètres.

Un consortium de physiciens et de chimistes vient de réaliser les premières mesures du libre parcours moyen de phonons dans un cristal thermoélectrique dit de « clathrate ». Alors que ce cristal a une très basse conductivité thermique, les mesures montrent que les phonons se déplacent sur des grandes distances (de 20-100 nanomètres) allant à l’encontre des interprétations courantes. En revanche, l’étude montre que la faible conductivité thermique résulte d’une réduction importante du nombre de phonons qui contribuent effectivement au transport de la chaleur. Cela est causé par la structure particulière du cristal à l’échelle atomique.

En pratique, un premier défi a été l’élaboration d’un monocristal centimétrique de clathrate avec une haute qualité cristalline, similaire à celle d’un cristal de silicium. A l’échelle atomique, un tel matériau est formé de cages d’atomes de germanium ou silicium (dits « atomes hôtes ») encapsulant des atomes lourds, généralement des alcalins ou alcalinoterreux (dits « atomes invités »). Cette structuration atomique particulière permet de dissocier le transport thermique et électrique et confère à ces matériaux une grande efficacité à convertir la chaleur en électricité. Bien qu’ils soient cristallins, les clathrates possèdent ainsi une conductivité thermique basse ( 1-2 W/mK à l’ambiante) et très peu dépendante de la température.

Le second défi instrumental a été de mesurer la durée de vie des phonons, située dans la gamme des picosecondes (10-12 s). Pour y parvenir, un spectromètre à neutrons à haute résolution temporelle, basé sur la technologie de « l’écho résonnant du spin du neutron », a été développé. Les temps de vie des phonons acoustiques en fonction de leurs énergies et de la température ont pu être ainsi mesurés, permettant de déduire leurs libres parcours moyens.

Cette première étude démontre la faisabilité et illustre l’intérêt des mesures de temps de vie de phonons acoustiques, tant pour la compréhension du transport thermique à l’échelle microscopique que pour l’ingénierie thermique des matériaux. En effet, la perspective d’avoir accès aux distances caractéristiques les plus pertinentes du transport de la chaleur, à leurs évolutions en fonction de la température et aux mécanismes qui permettent de les modifier donnera de nouvelles directions pour l’optimisation thermique des matériaux.

Image retirée.
Atténuation d’une onde élémentaire de chaleur, un phonon, sur un réseau cristallin de clathrate. L’oscillation illustre la mesure expérimentale de l’atténuation d’un phonon ayant une longueur d’onde de 2 nanomètres. Le réseau cristallin d’un clathrate est représenté en transparence, le carré blanc représente la maille cristallographique élémentaire ayant une taille d’environ 1 nm. Les cartographies couleurs en fond d’image montrent les mesures expérimentales des dispersions des phonons acoustiques (fortes intensités en jaune) longitudinaux (gauche) et transverses (droite).

© ILM (CNRS/Univ. Lyon 1)

 

En savoir plus

Direct measurement of individual phonon lifetimes in the clathrate compound Ba7.81Ge40.67Au5.33 
P.-F. Lory, S. Pailhès, V. Giordano, H. Euchner, H. Duong Nguyen, R. Ramlau, H. Borrmann, M. Schmidt, M. Baitinger, M. Ikeda, P. Tomes, M. Mihalkovic, C. Allio, M. Robert Johnson, H. Schober, Y. Sidis, F. Bourdarot, L. P. Regnault, J. Ollivier, S. Paschen, Y. Grin et M. de Boissieu 
Nature Communications (2017), doi:10.1038/s41467-017-00584-7

 

Informations complémentaires

Institut lumière matière (iLM, CNRS/Univ. Lyon 1) 
Laboratoire Léon Brillouin (LLB, CNRS/CEA) 
Institut Laue Langevin 
Sciences et ingénierie des matériaux et procédés (SIMaP, CNRS/Grenoble INP/Univ. Grenoble Alpes)

 

 

Contact

Stéphane Pailhès
Chargé de recherche CNRS | Institut Lumière Matière
Communication CNRS Physique