Un pas en avant dans la microscopie électronique ultrarapide : suivi nanoseconde d'une réaction chimique irréversible

Résultat scientifique Instrumentation Matériaux

Grâce à la microscopie électronique ultra-rapide, les scientifiques ont réussi à sonder la composition chimique et la structure à l'échelle nanométrique d'un échantillon à l'aide d'impulsions d'électrons nanosecondes uniques. Le suivi détaillé d'une réaction chimique irréversible en phase solide à des temps très courts devient alors possible, ce qui est réalisé ici pour la réduction d'un film d'oxyde de nickel nanocristallin.

À l'échelle nanométrique où les effets de bord deviennent prédominants, les temps de réaction peuvent être considérablement raccourcis et atteindre quelques microsecondes, voire quelques nanosecondes, notamment à haute température. C'est le cas pour les nanoparticules, mais aussi pour les surfaces, les interfaces ou les couches minces. Les grandeurs qui permettent de décrire la réaction telles que les constantes de temps, les énergies d’activation ou les états transitoires, demeurent souvent mal connues, en particulier pour les réactions irréversibles. En effet, le suivi des cinétiques réactionnelles à des temps très courts nécessite des impulsions sondes elles-mêmes très courtes et il est généralement nécessaire de compenser la faiblesse des signaux par une accumulation de mesures sur un grand nombre de cycles réactionnels, limitant ainsi le champ d’étude aux seuls processus réversibles. La microscopie électronique est un outil puissant et polyvalent qui permet de combiner des analyses structurales, morphologiques et de composition chimique. Depuis une quinzaine d’années, grâce à l’émergence de la microscopie électronique ultra-rapide, ces analyses ont pu être réalisées pour des processus physiques ultra-courts réversibles. Récemment, des chercheurs et chercheuses de l’Institut de physique et de chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS, CNRS/Univ. Strasbourg) et de l'École polytechnique fédérale de Lausanne ont développé un microscope électronique ultra-rapide (figure 1) permettant d'enregistrer des signaux avec une seule impulsion nanoseconde d'électrons1 . Dans ce travail, ils étudient la réaction de réduction de l'oxyde de nickel (NiO) en nickel (Ni), un système modèle d'intérêt industriel, qui avait pu être étudié avec une très bonne résolution spatiale mais dont la cinétique n'est toujours pas connue avec précision. Ils obtiennent une compréhension inédite de cette réaction, notamment avec la mise en évidence d'une phase transitoire de nickel sous forme liquide. Les scientifiques démontrent ainsi que, malgré les compromis technologiques nécessaires à l'obtention à la fois d'une résolution temporelle nanoseconde et d'une résolution spatiale nanométrique, le champ de la microscopie électronique ultra-rapide peut être étendu aux processus irréversibles, qui constituent de fait la grande majorité des processus réactifs.

L'échantillon est une couche mince nanocristalline d'oxyde de nickel déposée sur du carbone amorphe. Afin de provoquer la réaction de réduction, il est chauffé à l'aide d'une impulsion nanoseconde d'un laser infrarouge. Il est ensuite sondé par une impulsion nanoseconde d'électrons, synchronisée avec l'impulsion laser initiale. Cette expérience est répétée pour différents délais entre les deux impulsions, ce qui permet de reconstituer la cinétique et de la suivre par imagerie, diffraction et spectroscopie de pertes d'énergie d'électrons. Un atout majeur est de réaliser avec un même outil, non seulement les analyses morphologique et cristallographique obtenues par imagerie et par diffraction, mais aussi l'analyse de la composition chimique apportée par la spectroscopie. La spectroscopie montre que la réduction de l'oxyde en nickel a lieu en cinq microsecondes (figure 2) alors que l'imagerie montre que les nano-cristallites de nickel qui se forment concomitamment sont plus grands (quelques dizaines de nanomètres) que les nano-cristallites de l’oxyde de départ (cinq nanomètres). De plus, la diffraction met en évidence l'existence d'une phase transitoire de nickel liquide qui se forme en raison la très haute température de déclenchement de la réaction (environ 2 000 K). Les chercheurs ont ainsi caractérisé les paramètres cinétiques de la réaction, et croisant les résultats des différentes observations, ont pu construire un modèle cohérent du mécanisme réactionnel.  

Ce travail démontre qu'avec ce nouvel outil de microscopie électronique analytique, les réactions rapides et irréversibles des systèmes solides nanométriques peuvent désormais être étudiées en détail, qualitativement et quantitativement.

Figure 1
Figure 1. Le microscope électronique à transmission ultra-rapide (UTEM) fonctionnant avec des impulsions laser et électroniques nanosecondes.

 

Schéma
Figure 2. Une impulsion infrarouge déclenche la réduction de NiO en Ni. L’acquisition de spectres de perte d’énergie des électrons (EELS) avec des impulsions d’électrons de quelques nanosecondes à différents délais permet l’analyse élémentaire quantitative de cette réaction rapide.
  • 1M. Picher, K. Bücker, T. LaGrange et F. Banhart. Imaging and electron energy-loss spectroscopy using single nanosecond electron pulses. Ultramicroscopy 188, 41 (2018).

Références

Nanosecond electron pulses in the analytical electron microscopy of a fast irreversible chemical reaction. Shyam K. Sinha, Amir Khammari, Matthieu Picher, Francois Roulland, Nathalie Viart, Thomas LaGrange et Florian Banhart, Nature Communications 10, 3648 (2019). DOI: 10.1038/s41467-019-11669-w

Contact

Florian Banhart
Professeur à l'Université de Strasbourg, Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg.
Communication CNRS Physique