Agrégation de protéines : un problème de frustration ?

Résultat scientifique

Des physiciens du CNRS et de l’Université de Chicago proposent un nouveau point de vue sur les fibres protéiques associées à la maladie d’Alzheimer : interpréter leur formation comme l’assemblage d’un puzzle aux pièces mal ajustées. Cette étude est publiée dans la revue Nature Physics.

Les cellules de notre corps contiennent de nombreuses machines biochimiques aux rôles variés, les protéines. À l’instar d’autres machines, celles-ci peuvent malheureusement s’enrayer et causer des dégâts dans leur entourage. C’est ce qui arrive au cours de nombreuses maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, mais aussi de certaines formes de diabète ou d’anémie, où des protéines flottant librement au sein de la cellule commencent à s’agréger les unes aux autres sous formes de longues aiguilles qui entravent alors d’autres processus vitaux.

C’est à cette tendance à former des fibres que se sont intéressés deux physiciens théoriciens du Laboratoire de physique théorique et modèles statistiques (LPTMS, CNRS/Univ. Paris-Sud/Univ. Paris Saclay) et du James Franck Institute (Univ. Chicago). En marge de l’approche traditionnelle consistant à observer l’agrégation d’un type de protéine spécifique au moyen de techniques expérimentales perfectionnées, les chercheurs se sont demandés si l’omniprésence de fibres lors de l’agrégation de protéines de formes pourtant très différentes pourrait être la manifestation d’un principe physique général et encore inconnu. En réfléchissant aux différences entre une protéine et les objets relativement symétriques auxquels s’intéressent habituellement les physiciens, ils ont ainsi supposé que la surface très irrégulière des protéines les empêche justement de s’emboîter proprement pour former un agrégat tridimensionnel régulier, similaire aux cristaux qui apparaissent lorsque s’empilent des atomes.

Afin de démontrer que la seule présence d’irrégularités peut induire une morphologie fibreuse, les physiciens ont étudié des objets aussi simples que possible, mais néanmoins incapables de s’emboîter proprement pour former un cristal. Au contraire d’une collection de cubes ou des pièces d’un puzzle, de telles particules forment des agrégats dits « frustrés ». Au moyen de calculs mathématiques et par ordinateur, les chercheurs ont ainsi simulé la formation d’agrégats de polygones flexibles tels que des pentagones, des hexagones irréguliers ou des octogones.

Les résultats sont frappants : quelque soit la particule utilisée, des fibres se forment toujours dans le régime de paramètre attendu, suggérant donc que moyennant une complexité de forme suffisante, des particules identiques auront toujours une tendance à s’assembler sous forme de fibres. « Notre espoir est de permettre aux spécialistes de l’agrégation de protéines de discerner une forme de simplicité dans ces systèmes par ailleurs extrêmement complexes, et de les guider vers une meilleure compréhension de certaines maladies », affirme ainsi Martin Lenz. Ce nouveau principe pourrait par ailleurs inspirer des méthodes pour la fabrications de nouveaux matériaux à partir de nano objets irréguliers – démontrant ainsi que des idées de physique fondamentale peuvent nourrir des domaines d’application fort variés !

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Exemples de particules frustrées et des fibres qu’elles forment lorsque leur agrégation est simulée par un ordinateur. Les particules au sein des fibres sont déformées, et chaque nouvelle particule s’ajoute préférentiellement au sommet de l’agrégat pour éviter de déformer encore plus les particules déjà présentes.

 

En savoir plus

Geometrical frustration yields fiber formation in self-assembly 
Martin Lenz et Thomas A. Witten 
Nature Physics (2017), doi:10.1038/nphys4184 
Lire l’article sur la base d’archives ouvertes ArXiv

 

Informations complémentaires

Laboratoire de physique théorique et modèles statistiques (LPTMS, CNRS/Univ. Paris-Sud/Univ. Paris Saclay)

Contact

Marine Charlet-Lambert
Chargée de communication
Communication CNRS Physique