Manipuler des quanta de flux un par un par laser

Résultat scientifique

Des physiciens bordelais ont développé une méthode optique rapide et précise, analogue à celle des pinces optiques, pour manipuler individuellement des vortex. Basés sur l’échauffement d’un film de niobium supraconducteur à l’aide d’un laser focalisé, ces travaux s’inscrivent dans un tout nouveau domaine de recherche, la fluxonique, qui offre une alternative à l’électronique basée sur les composants à semi-conducteur.

Les supraconducteurs de type II peuvent être pénétrés par un champ magnétique extérieur sous forme de minces tubes de flux magnétique dont le diamètre est de quelques dizaines de nanomètres. L’enroulement des lignes de courant électrique autour de ces tubes vaut à ces structures le nom de « vortex d’Abrikosov », en référence aux travaux théoriques d’Alexei Abrikosov, prix Nobel de physique en 2003. Ces vortex sont les objets magnétiques les plus compacts portant un quantum de flux magnétique, d’où leur dénomination de fluxons. Les propriétés physiques des supraconducteurs sont étroitement liées à celles des vortex, qui peuvent s’arranger en réseaux, se piéger sur des défauts et se déplacer sous l’effet de courants électriques appliqués dans le supraconducteur. De manière analogue au phénomène de viscosité dans un fluide, le mouvement des vortex induit une dissipation d’énergie, limitant le courant électrique transportable dans le supraconducteur.

Manipuler individuellement des vortex sur des distances micrométriques est un tour de force qui a été récemment réalisé par quelques groupes de recherche en adaptant des techniques de microscopie à balayage de sondes locales. Comme ces méthodes sont intrinsèquement lentes et lourdes à mettre en oeuvre dans un environnement cryogénique, des physiciens du Laboratoire Photonique Numérique et Nanosciences (LP2N, CNRS/ Univ. de Bordeaux/IOGS) et du Laboratoire Ondes et Matière d’Aquitaine (LOMA, CNRS/Univ. de Bordeaux) ont développé une méthode optique simple et rapide, analogue à celle des pinces optiques, pour manipuler les vortex individuellement. En focalisant sur quelques micromètres un laser, les chercheurs ont réussi à chauffer très localement le film de niobium supraconducteur. Comme l’énergie d’un vortex diminue avec l’élévation de température, le vortex est attiré vers le centre de la tache laser. Ces chercheurs ont montré qu’en ajustant la puissance laser, il est possible de générer une force thermique suffisamment élevée pour arracher tout vortex de son piège, tout en préservant l’état supraconducteur grâce à une élévation de température locale très modérée, inférieure au Kelvin. Ils ont aussi montré qu’ils pouvaient manipuler ces vortex individuellement de manière précise et rapide (cf. publi) par déplacement du focus laser et les repositionner sur de nouveaux pièges, formant des structures artificielles sur des distances de l’ordre du millimètre, uniquement limitées par le champ de l’objectif. Les vitesses limites de manipulation de vortex par cette méthode sont imposées par la réponse thermique du supraconducteur et peuvent atteindre les km/s.

Ces travaux publiés dans Nature Communications ouvrent la voie à divers régimes de manipulation permettant de mieux comprendre les interactions entre vortex, essentielles pour les applications industrielles axées sur l’extension des courants critiques. Ils ouvrent aussi de nouveaux horizons dans le contrôle optique rapide de jonctions Josephson par manipulation de vortex individuels, la manipulation de textures de spin dans des structures hybrides, ou encore l’élaboration de simulateurs quantiques basés sur la structuration d’atomes froids dans des réseaux de pièges magnétiques.

Image retirée.
Les vortex d’Abrikosov sont générés dans un film de Niobium lors de son refroidissement sous champ magnétique en dessous de la température critique de supraconductivité (environ 9 K). Une image optique de ces nano-objets magnétiques est obtenue par la rotation de polarisation de la lumière qu’ils engendrent dans un grenat placé sur le supraconducteur. Chaque vortex peut être dépiégé et entraîné par un faisceau laser focalisé d’une dizaine de microwatts, puis repositionné de manière permanente sur un autre piège en coupant le laser. Deux exemples de manipulation de vortex sont présentés : (a) 19 vortex sont restructurés pour former les lettres AV symbolisant « Abrikosov Vortices » ; (b) en un tiers de seconde, une région supraconductrice d’une centaine de microns est débarrassée de ses vortex, déposés dans une région voisine marquée par la croix.
© LP2N

 

En savoir plus

Optical manipulation of single flux quanta 
I.S. Veshchunov, W. Magrini, S.V. Mironov, A.G. Godin, J.-B. Trebbia, A.I. Buzdin, Ph. Tamarat et B. Lounis 
Nature Communications (2016), doi:10.1038/ncomms12801

 

Informations complémentaires

Laboratoire Photonique, Numérique, Nanosciences (LP2N, CNRS/IOGS/Univ. Bordeaux) 
Laboratoire Ondes et Matière d’Aquitaine (LOMA, CNRS/Univ. Bordeaux)

Contact

Jean-Michel Courty
Chargé de mission institut
Marine Charlet-Lambert
Chargée de communication
Communication CNRS Physique