Comment faire rentrer une botte de paille dans le chas d’une aiguille ?
Des chercheurs et chercheuses ont recréé des pores artificiels qui miment le fonctionnement de deux types de pores biologiques, et ouvrent la voie à la fabrication de nano-pompes et de nano-filtres sélectifs.
On peut voir une cellule animale comme une poupée gigogne de quelques dizaines de micromètres, composée de multiples compartiments délimités par une membrane et dont les fonctions sont très variées. Pour communiquer entre eux et se coordonner, un transfert de molécules entre compartiments est nécessaire. Selon les cas il se produit par l’échange de petites vésicules ou plus directement par le passage de molécules à travers des nanopores biologiques. On peut voir ces derniers comme des ouvertures nanométriques dans les membranes de nos cellules ou de l’un de leurs compartiments.
Les nanopores biologiques sont d'étonnantes machines moléculaires qui remplissent une grande variété de fonctions allant du tri des biomolécules à la transmission des signaux dans nos neurones et au repliement des protéines nouvellement produites. Leurs performances, mesurées par leur efficacité énergétique, leur directionnalité ou leur sélectivité, n'ont pas d'équivalent dans les systèmes artificiels. La compréhension de leur fonctionnement permet donc d’appréhender des phénomènes physiques nouveaux. En se basant sur cette idée des physiciens et physiciennces du laboratoire de Physique de l’ENS de Lyon (LPENSL, CNRS / ENS Lyon) ont montré que l’on pouvait construire un nanosystème très simple qui utilise les fluctuations thermiques pour induire le transport directionnel à travers une membrane poreuse. Le principe de base de son fonctionnement repose sur le concept de « rochet brownien », ce nom étant inspiré de la roue à rochets, une roue dentée dotée d’un cliquet qui retombe au fond des encoches et contraint la roue à toujours tourner dans le même sens.
Faire transiter d’un compartiment à l’autre de très longs polymères est le problème auquel répondent à chaque instant deux pores particuliers : le pore nucléaire et le translocon. Bon nombre des biomolécules (ADN, ARN, protéines) transportées à travers les membranes se présentent naturellement sous formes de pelotes lâches qui sont en effet plus larges que l’ouverture des pores. La déformation des objets lors de la translocation conduit à la présence d’une barrière entropique importante, due au fait que la pelote doive se mettre temporairement dans un état allongé. Dans la nature cette barrière est compensée par une « incitation », sous la forme d’un gradient de potentiel chimique favorable à la molécule transportée. Dans le cas du translocon, ce gradient est créé par la présence en aval du de molécules ayant une forte affinité pour la molécule transportée. Ces molécules que l’on appellera agents de rochet biaisent le mouvement diffusif et limitent les retours en arrière, en agissant comme le cliquet de la roue à rochet, tout en étant elles-mêmes trop volumineuses pour travers le pore. De manière effective cette association irréversible en aval du pore joue le rôle d’une force.
Pour mimer cette directionnalité l’équipe du LPENSL a recréé en laboratoire une configuration similaire. En mesurant le changement dans la fréquence de passage induit par la présence de l’agent de rochet l’équipe a pu montrer que le rendement de ce mécanisme était indépendant de l’agent de rochet choisi et de la taille du pore mais dépendait fortement de la taille de la molécule transportée. Cette expérience ouvre la voie à la construction de nouvelles pompes nanométriques et sélectives qui utiliseraient les fluctuations thermiques pour fonctionner. La compréhension de ce phénomène permettra également de pointer les mécanismes en jeu dans les pores biologiques et de mieux comprendre leur fonctionnement ou leurs dysfonctionnements.
Dans un travail parallèle, mené en collaboration avec des équipes allemande et françaises, les chercheurs et chercheuses de l’ENS de Lyon se sont intéressés cette fois au contrôle du fonctionnement du pore lui-même. Ils ont greffé sur des membranes poreuses artificielles des pelotes polymériques. Quand celles-ci sont dans leur état « naturel » solvaté, elles adoptent une conformation de pelotes diffuses étendues, ce qui a pour conséquence d’obstruer complètement les pores, et empêche le passage de quelque molécule que ce soit à travers lui. Mais les scientifiques ont choisi un polymère très particulier, qui présente un comportement contre-intuitif vis-à-vis de la température : au-dessus d’une température critique, les polymères cessent d’avoir une structure étendue et diffuse, mais se contractent, car les interactions entre le polymère et l’ eau deviennent hydrophobes : en se recroquevillant en globule, le polymère minimise ainsi ses contacts avec les molécules d’eau. Cette transition, en se produisant pour les polymères greffés sur la paroi du pore ouvre ce dernier et permet le passage de biomolécules telles que l’ADN ou des virus d’un coté de la membrane à l’autre. Un tel système, à l’interface entre physique, chimie et biologie permet la fabrication de nouvelles membranes filtrantes activables très simplement par un paramètre extérieur comme ici la température. Ces résultats sont publiés respectivement dans les Proceedings of the National Academy of Sciences et la revue Nano Letters.
Références
Experimental study of a nanoscale translocation ratchet, Bastien Molcrette, Léa Chazot-Franguiadakis, François Liénard, Zsombor Balassy, Céline Freton, Christophe Grangeasse et Fabien Montel, paru le 18 juillet 2022 dans PNAS.
Doi : 10.1073/pnas.2202527119
Archives ouvertes : HAL
Thermally Switchable Nanogate Based on Polymer Phase Transition, Pauline J. Kolbeck, Dihia Benaoudia, Léa Chazot-Franguiadakis, Gwendoline Delecourt,
Jérôme Mathé, Sha Li, Romeo Bonnet, Pascal Martin, Jan Lipfert, Anna Salvetti, Mordjane Boukhet,
Véronique Bennevault, Jean-Christophe Lacroix, Philippe Guégan et Fabien Montel, paru le 22 mai 2023 dans Nano Letters.
Doi : 10.1021/acs.nanolett.3c00438
Archives ouvertes : HAL