Comment mieux exploiter les propriétés mécaniques exceptionnelles du graphène

Résultat scientifique

Des simulations portant sur des dizaines de millions de particules confirment le renforcement mécanique exceptionnel qu’un taux infime de graphène peut apporter quand il vient doper un matériau plastique ordinaire.

Depuis sa synthèse, il y a presque deux décennies, le graphène émerveille par ses propriétés mécaniques exceptionnelles : en principe ces feuillets totalement bidimensionnels de carbone sont cinq fois plus rigides que l’acier le plus renforcé, et 150 fois plus résistants ! Le problème est qu’il n’est pas facile d’exploiter ces propriétés hors du commun, car compte tenu de son épaisseur extrêmement fine (de la taille d’un atome !), les feuillets de graphène ne peuvent être utilisés seuls. Ils doivent être incorporés de façon contrôlée dans une matrice, par exemple un polymère, ce qui pose un certain nombre de problèmes de synthèse, de structure et de résistance à la fatigue mécanique. La production à grande échelle de tels matériaux innovants, exploitant efficacement les propriétés du graphène, reste ainsi à ce jour une perspective incertaine. En ce qui concerne les composites polymères/graphène, une des limites actuelles reste la compréhension des mécanismes de transfert d'effort entre la matrice polymère et le nanofeuillet bidimensionnel.

Dans un travail récent, une collaboration de chercheurs de l’University College London et de l'Institut de Physique de Rennes (IPR, CNRS / Université de Rennes) a exploité des simulations moléculaires chimiquement réalistes et de très grande taille (jusqu’à 30 millions de particules, décrivant les échelles de longueur jusqu’au micromètre) pour expliquer les mécanismes de renforcement de nanocomposites à base de graphène. L'utilisation de supercalculateurs de dernière génération (ARCHER2, EPCC, UK) a permis de décrire de façon réaliste des systèmes expérimentaux déjà caractérisés, en simulant le comportement mécanique d'un feuillet de graphène de plusieurs micromètres de long entouré d'une matrice de polymère thermoplastique. Les simulations ont ainsi validé une théorie établie depuis plus de 10 ans ("bidimensional shear-lag theory") expliquant le mécanisme par lequel une inclusion nanométrique bidimensionnelle telle que le graphène est capable de renforcer une matrice de polymère.

Au-delà d’une validation de la théorie shear-lag, l'étude montre que si des feuillets de graphène de plus de 500 nm de longueur peuvent augmenter de manière significative les propriétés élastiques, il est essentiel pour l'efficacité du transfert de contrainte que les ondulations des feuillets soient minimales. Or, les conditions de synthèse induisent des feuillets aux formes courbées, plissées ou froissées, causées par des contraintes ou des défauts. Une réduction de ces ondulations du graphène conduirait d’après l'étude à une amélioration significative des propriétés mécaniques du composite.

L'étude permet donc d'établir les caractéristiques géométriques et physico-chimiques à respecter pour observer un renfort mécanique significatif par incorporation de graphène. Cet apport permettra de guider la synthèse de nanofeuillets de graphène, ainsi que leur fonctionnalisation, afin d'optimiser l'industrialisation de nanocomposites légers et performants. Ces résultats sont publiés dans la revue Advanced Materials.

Illustration Vassaux
Figure : Modèle numérique moléculaire micrométrique d'un nanocomposite PVA/graphène constitué de 30,000,000 d'atomes pour la simulation chimiquement réaliste des mécanismes de renforcement mécanique à l'interface © M. Vassaux.

Références

Large-Scale Molecular Dynamics Elucidates the Mechanics of Reinforcement in Graphene-Based Composites, James L. SuterMaxime VassauxPeter V. Coveney, Advanced Materials, paru le 28 juin 2023.
Doi : 10.1002/adma.202302237
Archive ouverte : HAL

Contact

Maxime Vassaux
Chargé de recherche CNRS, Institut de Physique de Rennes (IPR)
Communication CNRS Physique