Représentation de la surface de la nanoparticule de cuivre avec la molécule de catéchol HHTP (hexahydroxytriphenylene). Crédit : Johann Coraux, Institut Néel (CNRS/Université Grenoble Alpes).

Comprendre la cytotoxicité des nanoparticules métalliques

Résultat scientifique

Un des enjeux majeurs des nanoparticules est leur biocompatibilité. En utilisant les outils de la science des surfaces, les chercheurs analysent ici le rôle du métal dans l'interaction de nanoparticules métalliques avec des molécules impliquées dans la défense des cellules contre l'oxydation (catéchols). Ils révèlent ainsi un mécanisme catalysé par le métal entrainant leur propre oxydation et pouvant expliquer la toxicité des nanoparticules.

Le stress oxydant est l’un des processus souvent incriminés à la genèse de nombreuses maladies, notamment les cancers. Il est caractérisé par la production dans les cellules d’espèces oxydantes appelées ROS (reactive oxygen species), qui peuvent altérer l’ADN. La production des ROS découle de processus de transfert d’électrons faisant intervenir des cations métalliques. Heureusement, le plus souvent les cellules possèdent des systèmes efficaces d’autodéfense qui préviennent la formation des ROS, notamment grâce à des molécules de la famille des catéchols (des molécules aromatiques possédant au moins deux fonctions alcool adjacentes). Les mécanismes d'action impliquant des nanoparticules sont connus lorsqu’elles sont constituées d’oxydes métalliques. Ce n’est pas le cas pour les nanoparticules métalliques (non oxydées), alors même qu’elle se révèlent plus toxiques encore. Des chercheurs, spécialistes de physique et de chimie des surfaces à l’Institut Néel (NEEL, CNRS/Université Grenoble Alpes), à l’Institut Franche-Comté Electronique Mécanique Thermique et Optique–Sciences et Technologies (FEMTO-ST, CNRS/COMUE Univ. Bourgogne-Franche-Comté/Univ. Franche-Comté/Univ. de technologie de Belfort Montbéliard/Ecole nationale supérieure de mécanique et des microtechniques), à l’Institut de la science des matériaux de Madrid (Espagne), à l’Institut des matériaux de Trieste (Italie) et à l’Université Polytechnique de Cartage, ont mis à jour un mécanisme d'oxydation interne des agents de défense des cellules eux-mêmes, catalysé par l'interaction avec une surface métallique étudiée dans des conditions de ultra-haut vide. Ces résultats, qui indiquent une origine possible à la cytotoxicité de la surface de nanoparticules métalliques, sont publiés dans la revue Chemical Science.

Pour comprendre et modéliser le rôle de la surface des nanoparticules, les chercheurs ont concentré leur étude sur une couche de molécules de catéchol adsorbées sur une surface de basse énergie (particulièrement stable) du cuivre. En associant l'observation de molécules individuelles par microscopie à effet tunnel, l’analyse à haute résolution par rayonnement synchrotron de la composition de chaque molécule, et des calculs de type ab initio, ils ont révélé la transformation des molécules, étape par étape. Ils montrent que contrairement aux surfaces d’oxydes métalliques, la surface de cuivre catalyse une réaction d’oxydo-réduction très particulière, dite intramoléculaire : les molécules de catéchol voient leurs fonctions alcool oxydées alors que d’autres fonctions sont réduites, grâce à un transfert d’électrons entre les substituants d’une même molécule. La molécule devient ainsi une semiquinone, puis une quinone, deux espèces connues pour être des ROS agressifs. Cette transformation est gouvernée par l’alignement des niveaux électroniques de la surface de cuivre et des molécules, la surface de cuivre « forçant » la molécule à se transformer pour interagir avec elle. Tout cela se produit sans oxydation de la surface métallique, qui conserve donc sa propension à générer des ROS, d’où sa potentielle cytotoxicité.

L’étude propose ainsi un mécanisme d’action des surfaces des nanoparticules métalliques qui dégradent les agents de défense des cellules en les transformant en agents ROS susceptibles d’altérer l’ADN cellulaire. Elle illustre la puissance des outils de la science des surfaces pour décrypter l’évolution de systèmes a priori très complexes, y compris vivants. Ce travail est amené à se prolonger pour valider en milieu biologique le mécanisme d’action des nanoparticules métalliques et ouvrir de nouvelles perspectives dans la compréhension des mécanismes d’altération de l’ADN.

Photographie du microscope à effet tunnel.
Figure 1 : Photographie du microscope à effet tunnel. Crédit : FEMTO-ST, L. Godard-UFC.

 

Référence

Copper-assisted oxidation of catechols into quinone derivatives. A.-C. Gómez-Herrero, C. Sánchez-Sánchez, F. Chérioux, J.- I. Martínez, J. Abad, L. Floreano, A. Verdini, A. Cossaro, E. Mazaleyrat, V. Guisset, P. David, S. Lisi, J.-A. Martín Gago et J. Coraux. Chem. Sci. volume 12, pages 2257-2267. Publié le 21 décembre 2020.
DOI: 10.1039/D0SC04883F
Article disponible sur les bases d’archives ouvertes hal

Contact

Johann Coraux
Chercheur CNRS, Institut Néel
Frédéric Chérioux
Chercheur CNRS, Institut Franche-Comté électronique mécanique thermique et optique – sciences et technologies
Communication CNRS Physique