Comprendre l’excellent rendement de certaines photoréactions chimiques

Résultat scientifique Atomes et molécules

Une photoréaction semblable à celle de la rhodopsine, le photodétecteur de la vision, a été reproduite dans une molécule synthétique. Cela ouvre la voie à l’optimisation de la fonction moléculaire, grâce à l’exploitation de la cohérence quantique, au cœur du mécanisme de ces réactions.

La photoréaction qui déclenche le processus de la vision chez les vertébrés est l’isomérisation du rétinal (une forme de la vitamine A) dans la protéine de rhodopsine (Rho). Après absorption d’un photon, le rétinal se désexcite par une rotation autour d’une double liaison C=C, ce qui déclenche l’activité biologique. Une telle conversion d’énergie lumineuse en énergie mécanique, à l’échelle moléculaire, est réalisée dans bien d’autres systèmes naturels ou synthétiques pour déclencher une fonction ou réaliser des moteurs moléculaires, un domaine de la chimie récompensé par le prix Nobel 2016.

L’absorption d’un photon par une molécule porte ses électrons dans un état excité, ce qui met les noyaux en mouvement. La probabilité pour la molécule de former le photoproduit plutôt que de se désexciter en reformant son état initial, c’est-à-dire le rendement de la photoréaction, est le résultat du mouvement concerté des noyaux. En phase condensée (i.e dans une protéine ou en solution), l’interaction avec l’environnement conduit au déphasage aléatoire du mouvement relatif des noyaux - ce qu’on appelle la « décohérence vibrationnelle » - sur une échelle de temps très rapide de l’ordre de la picoseconde (ps).

La photoréaction de la Rho est exceptionnelle car c’est l’unique exemple d’une photo-isomérisation plus rapide que la décohérence vibrationnelle. Plus précisément, l’interaction de la cage protéique avec le rétinal, façonnée par l’évolution naturelle, permet de piloter de manière « cohérente » le mouvement des noyaux du rétinal - on parle d’un « paquet d’ondes vibrationnel » - et d’achever la photoréaction avant que l’interaction avec l’environnement ne perturbe aléatoirement les mouvements qui contrôlent de manière critique le rendement de la photoréaction. C’est ainsi que le rendement de la photoisomérisation du rétinal dans la Rho est plus élevé que dans n’importe quel autre environnement, par exemple en solution.

Une équipe de l’Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS, CNRS/Univ. Strasbourg) vient de démontrer qu’une photo-isomérisation vibrationnellement cohérente semblable à celle de la Rho est reproduite dans une petite molécule en solution, inspirée du rétinal et synthétisée à l’Université de Sienne (Italie).

En utilisant des impulsions lasers très courtes (<10 fs), il est possible de déclencher la photoréaction de manière impulsive et synchronisée dans un ensemble de molécules en solution à température ambiante, et de suivre les signatures spectroscopiques du paquet d’ondes vibrationnel au cours de la photoréaction.

Le résultat central est qu’une faible torsion initiale ( 15 degrés) de la double liaison C=C, induite par une modification chimique mineure du composé, est nécessaire pour accélérer la rotation et observer ce régime de photoréaction vibrationnellement cohérente.

Tout d’abord, cela démontre un mécanisme possible, longtemps postulé, à l‘origine de la photoréactivité unique de la Rho : il « suffit » que la protéine exerce une contrainte en torsion sur le rétinal. Ensuite, cela ouvre un champ nouveau d’investigations consistant désormais à optimiser la structure chimique de systèmes moléculaires synthétiques pour générer ce type de cohérence vibrationnelle et, si possible, l’exploiter pour contrôler leur photoréactivité, ainsi que la Rho le fait avec le rétinal.

 

Image retirée.
Photoisomérisation vibrationnellement cohérente. La molécule en insert réalise une conversion d’énergie lumineuse (photon absorbé) en énergie mécanique (torsion Φ), selon une photoisomérisation vibrationnellement cohérente (en haut) : un paquet d’onde vibrationnel conduit la molécule de l’état excité S1 vers l’état fondamental S0 (photoproduit), où il est révélé par un signal d’absorption transitoire oscillant (en bas à droite, tracé pour deux longueurs d’ondes de détection du photoproduit), dominé par des oscillations de période 0.4 ps correspondant au mouvement de torsion Φ.
© IPCMS (CNRS/Univ. Strasbourg)

 

En savoir plus

Engineering the vibrational coherence of vision into a synthtic molecular device 
M. Gueye, M. Manathunga, D. Agathangelou, Y. Orozco, M. Paolino, S. Fusi, S. Haacke, M. Olivucci et J. Léonard 
Nature Communications (2018), doi:10.1038/s41467-017-02668-w

 

Informations complémentaires

Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS, CNRS/Univ. Strasbourg)

Contact

Communication CNRS Physique