Contrôler les formes à l’échelle du nanomètre
Les clusters d’atomes déposés sur des surfaces peuvent fluctuer sous l’effet de l’agitation thermique. Des physiciens théoriciens explorent comment ces fluctuations peuvent être utilisées de façon optimale pour obtenir une forme sélectionnée.
À l’échelle moléculaire, la température correspond à l’agitation désordonnée des atomes. Ce phénomène a été découvert au XIXème siècle par le biologiste Brown lors de l’observation sous microscope du mouvement erratique de particules de pollen de taille micrométrique dans l’eau. Einstein a montré en 1905 que ce « mouvement brownien » résulte des collisions des pollens avec les molécules d’eau en perpétuel mouvement chaotique – la manifestation microscopique de la température. Dans certains cas, cette agitation thermique est même susceptible d’engendrer des changements de forme spontanés dans les objets nanoscopiques. Ceux-ci sont composés d’un petit nombre d’atomes ou de particules regroupés en agrégats denses appelés clusters, qui peuvent facilement se réarranger et explorent de fait au cours du temps une grande variété de formes. Un certain nombre de travaux théoriques et expériences ont déjà été consacrés à ces changements de forme induits par la température. Dans une nouvelle étude, des chercheurs de l’Institut lumière matière à Lyon (ILM, CNRS / Univ. Claude Bernard Lyon 1) posent une question originale : combien de temps met un groupe d’atomes pour atteindre une forme donnée ? De façon surprenante, ils ont découvert que dans certains cas, il existe une température particulière pour laquelle ce temps est minimum. Plus encore, il est possible d’optimiser la durée de ce processus de transformation vers la forme désirée en exploitant astucieusement les fluctuations thermiques par application d’une force dépendant de la forme instantanée du cluster. Ce travail est publié dans la revue Physical Review Letters.
Dans leur approche, les physiciens se sont concentrés sur des assemblages simples et faciles à observer, formés de quelques atomes ou particules liés entre eux par des interactions attractives et étalés en une monocouche sur un substrat thermalisé. Ces assemblages appelés clusters bidimensionnels et leurs réarrangements spontanés dus à l’agitation thermique sont couramment observés dans de nombreux domaines de recherche : par exemple avec des atomes métalliques (taille de l’ordre du dixième de nanomètre), des nanoparticules (taille de quelques nanomètres à quelques dizaines de nanomètres comme les fullerènes), ou encore des colloïdes (de taille micrométrique comme les pollens). Une des originalités de l’étude repose sur le fait d’avoir croisé des domaines scientifiques a priori peu connectés. En effet, afin de trouver la stratégie optimale pour guider les nano-objets vers une forme arbitrairement choisie, les auteurs ont couplé la physique statistique hors équilibre à des outils de simulation numérique basés sur la programmation dynamique. Celle-ci, largement utilisée en ingénierie et en mathématiques appliquées, permet de résoudre des problèmes d’optimisation très variés, incluant par exemple la gestion de barrages dans les réseaux hydrologiques ou l’analyse des marchés financiers. Dans le cas présent, la programmation dynamique a permis aux chercheurs de réduire de plusieurs ordres de grandeur le temps moyen nécessaire pour atteindre une forme présélectionnée, particulièrement dans les cas d’intérêt quand la température est basse et le cluster suffisamment gros (typiquement une douzaine de particules).
À l’heure où les nanotechnologies sont de plus en plus utilisées dans l’industrie, ces travaux pourraient aider à la conception d'objets de taille nanométrique, une échelle où manipuler la matière est délicat, et ouvrir ainsi la voie à des applications concrètes.
Référence
Controlling the shape of small clusters with and without macroscopic fields
F. Boccardo, O. Pierre-Louis, Phys. Rev. Lett., 128, 256102 – Publié le 22 June 2022.
DOI : 10.1103/PhysRevLett.128.256102
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