Déplacer un objet macroscopique grâce à un système quantique
Des chercheurs sont parvenus à mettre en mouvement un oscillateur mécanique de 18 µm de long en excitant optiquement un atome artificiel unique intégré en son sein. Ce travail ouvre la voie à l’émergence d’interfaces reliant le domaine quantique au monde classique.
On sait aujourd’hui préparer les atomes, ou les atomes artificiels tels que les boîtes quantiques semi-conductrices, dans un état quantique bien défini via une excitation optique à l’aide de lasers. A contrario, on ne sait pas préparer directement un système mécanique macroscopique dans un état quantique, du fait de son grand nombre de degrés de liberté. Disposer de tels systèmes permettrait entre autres applications nouvelles de réaliser des capteurs de force ou de position avec des précisions extraordinaires, ou d’effectuer de nouvelles fonctions dans le traitement quantique de l’information. Une stratégie consiste à intégrer un atome artificiel au cœur du système mécanique, à préparer celui-ci dans un état quantique bien défini, puis à transférer cet état sur le système macroscopique.
En démontrant l'actionnement d’un micro-fil mécanique par manipulation optique de l’état d’un atome artificiel, une équipe associant l’Institut Néel (NEEL, CNRS/Univ. Grenoble Alpes/Grenoble INP), le Laboratoire de physique (LPENSL, CNRS/ENS Lyon), le IRIG-PHELIQS (CEA/Univ. Grenoble Alpes), l’Université de Campinas, et l’Université de Nottingham a franchi une étape importante dans la conception d’une interface permettant de transférer de l’information quantique vers des systèmes macroscopiques. Le dispositif mis au point consiste en un micro-fil conique semi-conducteur d’arséniure de gallium long de 18 µm, à la base duquel une boîte quantique d’arséniure d’indium est implantée, décalée par rapport à l’axe de symétrie (voir Fig. 1). L’état excité de ce type de boîte quantique correspond à la formation d’une paire électron-trou, également appelée exciton. La présence de cet exciton dans la boîte quantique modifie son volume effectif (voir Fig. 1c), ce qui entraîne une modification importante du champ de contraintes parcourant le micro-fil. La boîte se trouvant en dehors de l’axe de symétrie, ces contraintes entraînent une déflexion, qui est utilisée pour mettre en mouvement le fil. Expérimentalement, l’équipe utilise les impulsions d’un laser accordé sur la transition de la boîte quantique afin de former périodiquement ces excitons. La vibration du micro-fil résultante est détectée de manière synchrone par une technique optique ultra-sensible. Ce travail est publié dans la revue Nature Nanotechnology.
En 2013, l'équipe avait montré les conséquences du déplacement d'un même fil d'arséniure de gallium sur la fréquence des photons émis par une boîte quantique. Étudier l'autre versant de ce couplage a constitué un défi majeur, notamment à cause du très faible mouvement du micro-fil : 0,6 picomètre d'amplitude, soit mille fois plus petit qu'un atome. L’une des difficultés tient aux effets des fluctuations thermiques de la position de l’oscillateur à la température de l’expérience (T=20 K), ainsi qu’aux perturbations de l’exciton de la boîte quantique par les fluctuations de son environnement électrostatique dans le semiconducteur, qui ont tous deux tendance à masquer la mise en mouvement de l’oscillateur. Ainsi, l’expérience a dû être répétée un grand nombre de fois afin de moyenner ces effets, ce qui requiert un dispositif d’une extrême stabilité.
Si des progrès importants demeurent nécessaires pour imprimer des états quantiques d’un atome artificiel vers un oscillateur mécanique macroscopique, cette preuve de principe met en lumière le fort potentiel de la manipulation tout-optique de systèmes hybrides boîte-quantique/microfil semi-conducteur dans ce contexte.
Référence
Inducing micromechanical motion by optical excitation of a single quantum dot. J. Kettler, N. Vaish, L. M. de Lépinay, B. Besga, P.-L.de Assis, O. Bourgeois, A. Auffèves, M. Richard, J. Claudon, J.-M. Gérard, B. Pigeau, O. Arcizet, P. Verlot et J.-P. Poizat, Nature Nanotechnology, Publié le 21 décembre 2020.
DOI: 10.1038/s41565-020-00814-y
Article disponible sur la base d’archives ouverte hal.