Dessine-moi un mouton (avec des nanocubes)

Résultat scientifique

Des physiciens ont mis au point une méthodologie complètement originale pour agencer avec une précision inédite des nanoparticules colloïdales en motifs de formes arbitrairement complexes, qui, en étant répétés des milliers de fois à la surface d’une lame de verre, créent des métasurfaces aux propriétés optoélectroniques uniques.

Les perspectives offertes par les nanotechnologies dépendent fortement de leur capacité à nanostructurer les matériaux à haute résolution, à faible coût et sur des échantillons macroscopiques. La plasmonique, la nanophotonique et l'optoélectronique constituent des exemples parmi les plus actifs de domaines de recherche nécessitant de telles nanostructurations. En général, les avantages d’une nanostructuration de la matière sont montrés par une expérience de recherche nécessitant la fabrication d’un échantillon particulier via une approche dite descendante, qui consiste à sculpter la matière par des étapes de dépôt, lithographie et gravure, mais le coût et la complexité des procédés de nanofabrication mises en œuvre soulèvent de profondes questions sur la viabilité industrielle des matériaux obtenus, notamment quand on envisage la fabrication des quantités macroscopiques de ces matériaux nécessaires à leurs applications concrètes.

Une approche alternative, dite ascendante, consiste à combiner la synthèse colloïdale avec l’auto-assemblage dirigé, ce qui permet la fabrication de nanomotifs (de petits réseaux de colloïdes assemblés et/ou frittés) avec des matériaux de haute qualité et des perspectives concrètes de production à échelle macroscopique pour un coût raisonnable. La technique de référence pour l’assemblage dirigé utilise une goutte de solution colloïdale très concentrée qui est glissée sur le substrat, un élastomère nanostructuré avec des trous enchâssés par moulage. Au passage de la goutte, les nanoparticules descendent dans les trous et s’y retrouvent piégées, dans un processus dynamique complexe mettant en jeu plusieurs forces (capillaires, de friction, d’adhésion), qui est malheureusement assez facilement sujet aux instabilités et limite cette technique à la réalisation de « méta-atomes » 1D et à faible densité. De ce fait, l’élaboration de matériaux colloïdaux en nanomotifs à haute résolution, sans défaut et respectant des géométries arbitrairement complexes était inaccessible à cette technique de dépôt dynamique.

Dans un travail récent, des chercheurs du Centre Interdisciplinaire de Nanoscience de Marseille (CINaM, Aix-Marseille Université / CNRS), du Centre de recherche sur l'hétéroepitaxie et ses applications (CRHEA, CNRS / Université Côte d'Azur) et de l'Institut matériaux microélectronique nanosciences de Provence (IM2NP, Aix-Marseille Université / CNRS / Université de Toulon) ont considérablement amélioré les performances de ce type d'approche. L’idée novatrice était d’avoir comme point de départ une couche de nanoparticules flottant à l’interface eau/air à la place d’une goutte concentrée. Cela permet à la fois une concentration très élevée, mais aussi une très bonne stabilité (absence d’interactions induites par des écoulements, génératrices d’instabilité) et une haute mobilité. Cette couche flottante est transférée par simple contact sur le substrat nanostructuré, en remplissant tous les trous formant le motif simultanément. Grâce à cette modalité d’assemblage qui, par comparaison avec la méthode qu’elle améliore, peut être qualifiée de « quasi-statique », la forme, la densité et l’organisation de motifs ne déterminent plus la réussite ou l’échec de la procédure de fabrication. Les chercheurs démontrent ainsi dans ce travail la possibilité d’obtenir des méta-atomes 2D (motifs colloïdaux déposés sur une lame de verre) avec une véritable liberté quant à leur géométrie et leur complexité (ils réalisent ainsi des motifs en pièces de Tétris, ou formant le mot CNRS par exemple), ce qui n’était pas possible jusqu’à présent. Ce succès, allié à la capacité de produire de tels arrangements de façon périodique sur de grandes surfaces, fait de cette nouvelle technique une innovation de rupture dans le domaine des métasurfaces pour l’optique et la nanophotonique. Comme preuve de concept ils proposent ainsi une métasurface qui, grâce à sa phase géométrique, « sculpte » d’une façon très particulière la réflexion d’une lumière polarisée circulairement, sans équivalent chez les matériaux traditionnels.

Cette approche novatrice d’assemblage de méta-atomes est le point de départ pour la réalisation entièrement ascendante de métasurfaces, mais constituera aussi à terme une boîte à outils performante pour créer et étudier de nouveaux nano-objets extrêmement difficiles, voire impossibles, à synthétiser par voie chimique. Ces résultats sont publiés dans la revue ACS Nano.

Illustration Sciacca
Figure : Dans l’approche novatrice décrite dans ce travail, une couche de nanoparticules flottant à l’interface eau/air est transférée par simple contact sur un substrat nanostructuré, en remplissant simultanément tous les trous formant le motif.  Les images au microscope électronique montrent des nanocubes d’argent (55 nm de côté) agencés à volonté  avec précision et à plusieurs échelles, avec une résolution égale à leur taille. La disposition  régulière de ces “méta-atomes” sur une surface dote cette dernière de fonctionnalités optiques permettant de réaliser des composants optiques ultra-fins © Muhammad L. Fajri et al.

 

Référence

Designer Metasurfaces via Nanocube Assembly at the AirWater Interface, Muhammad L. Fajri, Nicolas Kossowski, Ibtissem Bouanane,Frederic Bedu, Peeranuch Poungsripong, Renato Juliano-Martins, Clement Majorel, Olivier Margeat, Judikael Le Rouzo, Patrice Genevet, Beniamino Sciacca, ACS Nano, publié le 19 août 2024.
Doi :
10.1021/acsnano.4c06022
Archive ouverte : HAL

Contact

Beniamino Sciacca
Chercheur CNRS, Centre Interdisciplinaire de Nanoscience de Marseille (CINaM)
Communication CNRS Physique