La réaction d’échange isotopique de l’oxygène enfin comprise

Résultat scientifique Atomes et molécules

Des physiciens viennent de calculer à partir des premiers principes la vitesse de la réaction d’échange isotopique 18O + 16O16O → 50O3* → 16O + 18O16O, en fonction de la température. Cette réaction constitue une étape clé dans le processus global de formation de l’ozone. Jusqu’à présent, aucun modèle théorique ne permettait de rendre compte des vitesses mesurées en laboratoire. Ce nouveau résultat apporte des éléments cruciaux dans la compréhension de l’enrichissement de l’ozone en isotopes lourds dans la stratosphère.

Depuis le début des années 1980, des mesures in situ effectuées par des ballons-sondes ont mis en évidence un enrichissement anormal de l’ozone en isotopes lourds de l’oxygène, 18O et 17O. Ce phénomène a ensuite été reproduit en laboratoire mais son origine précise demeure toujours incomprise. La communauté des physico-chimistes spécialistes de l’atmosphère s’accorde cependant sur le fait que l’étape clé de l’une des deux voies de réaction conduisant à cet enrichissement est la réaction d’échange 18O + 16O16O → 50O3* → 16O + 18O16O. Jusqu’à présent, aucune approche théorique ne permettait de rendre compte des mesures de la vitesse de cette réaction d’échange effectuées en laboratoire.

Grâce à un calcul très précis des forces moléculaires entre atomes d’oxygène, et d’une étude quantique sans approximation de la dynamique des noyaux, des physiciens du Laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (CNRS/Univ. Bourgogne/UTBM) et du Groupe de spectrométrie moléculaire et atmosphérique(CNRS/Univ. Reims Champagne-Ardenne) viennent de réaliser une nouvelle prédiction théorique de valeur de la constante de vitesse cette réaction en fonction de la température. Celle-ci est en accord quantitatif avec toutes les mesures expérimentales disponibles à ce jour. La concordance entre les calculs théoriques de la vitesse de cette réaction d’échange et les mesures expérimentales implique une très bonne description des états vibrationnels excités de O3* et de leurs populations respectives.

Ces résultats seront importants pour une modélisation future de l’une des deux voies conduisant à l’ozone stable enrichi. Cette étude fait ainsi un pas supplémentaire vers la compréhension de l’enrichissement anormal en isotopes lourds de l’ozone dans la haute atmosphère. Ces résultats sont publiés dans la revue The Journal of Physical Chemistry Letters.

En collaboration avec l’Université de Tomsk (Russie) et le GSMA (Reims), les physiciens ont d’abord calculé la structure électronique de la molécule d’ozone. Cette dernière est difficile à décrire précisément, car il est nécessaire de prendre en compte de manière indirecte de nombreux états excités, et ce, pour une grille très dense de géométries nucléaires. Ils ont alors utilisé l’énergie électronique résultante comme énergie potentielle gouvernant la dynamique des noyaux (approximation de Born-Oppenheimer). Ils ont alors employé cette surface d’énergie potentielle pour simuler la dynamique réactionnelle à l’aide d’une méthode quantique exacte indépendante du temps.

L’originalité de ce calcul, qui dépasse largement la situation spécifique étudiée, a été de montrer que la précision du résultat final dépend de la qualité de la surface de potentiel pour l’ensemble des régions de l’espace des configurations nucléaires. Ceci est en opposition avec la pratique habituelle qui considère que seule une région spécifique du potentiel, appelée état de transition, a une influence sur la dynamique. Ceci est dû à une spécificité de la surface d’énergie de l’ozone O3 qu’ils ont calculée : celle-ci ne possède aucune barrière submergée, c’est-à-dire s’érigeant sous le seuil de dissociation O + O2, dans la région intermédiaire du potentiel, que l’on considère le chemin d’énergie minimale ou tout son voisinage.

Il s’agit là d’une caractéristique majeure qui contraste avec tous les potentiels d’interaction de l’ozone calculés jusqu’alors par d’autres groupes. Ainsi, une particularité de nature topographique essentielle semble contribuer à une bonne description de la dynamique, qui se reflète dans une quantité même très moyennée comme une constante de vitesse. De plus, cette surface possède une « précision spectroscopique » en ce qui concerne la description des états vibrationnels excités du complexe O3*, elle aussi nécessaire pour une description optimale de la dynamique réactionnelle au niveau quantique qui fait intervenir ces états.

 

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Constante de vitesse théorique pour la réaction d’échange obtenue sur la nouvelle surface (trait noir plein) ou sur l’ancienne surface (trait tireté noir) de l’ozone, comparée aux résultats expérimentaux les plus récents (courbe rouge, courbe bleue et cercle vert) avec leurs barres d’erreur.
© ICB (CNRS/Univ. Bourgogne/UTBM)

 

 

En savoir plus

First-principles computed rate constant for the O + O2 isotopic exchange reaction now matches experiment 
Grégoire Guillon, Pascal Honvault, Roman Kochanov et Vladimir Tyuterev 
J. Phys. Chem. Lett (2018), doi:10.1021/acs.jpclett.8b00661

 

Informations complémentaires

Laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (ICB, CNRS/Univ. Bourgogne/UTMB) 
Groupe de spectrométrie moléculaire et atmosphérique (GSMA, CNRS/Univ. de Reims Champagne-Ardenne)

Contact

Pascal Honvault
Professeur à l’Université de Franche-Comté
Grégoire Guillon
Maître de conférences à l’Université de Bourgogne
Communication CNRS Physique