La synthèse des premiers acides aminés reconstituée par ordinateur

Résultat scientifique

Des chercheurs sont parvenus à simuler par des calculs de chimie quantique les différentes étapes du mécanisme de Strecker, considéré comme ayant mené à la synthèse des premiers acides aminés dans l'Univers primordial.

La synthèse spontanée des briques élémentaires du vivant dans la Terre primordiale, ou dans les météorites, est au cœur de la chimie prébiotique. Ces synthèses représentent un ensemble de réactions chimiques complexes, du fait du grand nombre de molécules y prenant part, et de la diversité des conditions géochimiques environnantes. En particulier, l’émergence des acides aminés, constituants de base des protéines, est traditionnellement expliquée via le mécanisme dit “de Strecker”, une série de réactions multi-composants en solution aqueuse. Cependant, cette hypothèse n’avait jamais reçu de confirmation rigoureuse par des calculs en chimie quantique, tenant compte également d’une description réaliste de l'environnement. C'est le cas désormais grâce aux travaux des chercheurs de l'Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (IMPMC, MNHN/CNRS/Sorbonne Univ.), qui ont réalisé une étude au niveau quantique de la synthèse de Strecker des acides aminés, avec une description explicite du solvant. Elle a été publiée le 10 mars 2021 dans Journal of Physical Chemistry Letters.

Pour cette étude, la réaction de Strecker a été découpée en sept sous-réactions, chacune étudiée séparément. Les calculs numériques étant d'une précision quantique, les temps caractéristiques des réactions qui peuvent être étudiée sont de l'ordre de la dizaine de picosecondes. Se restreindre à ces durées ne permettait pas d'explorer un grand nombre de réactions. Pour contourner cela, les chercheurs ont mis au point une technologie d'échantillonnage augmenté, de telle sorte à « faire sortir » les systèmes physico-chimiques de leur minimum local d'énergie libre, et explorer un paysage chimique plus large. Les chercheurs ont ainsi dirigé le système étudié dans plusieurs directions, afin de reproduire un panel très large de réactions, puis de déterminer le chemin le plus efficace effectivement emprunté par les réactifs. Les résultats obtenus sont validés par les quelques résultats expérimentaux existants. Plus important encore, de nombreuses “zones d’ombre” demeuraient au sujet de certaines étapes de la réaction de Strecker. Cette étude permet de compléter ces résultats expérimentaux lacunaires, fournissant un paysage de référence pour toute la communauté scientifique étudiant les origines de la vie. Enfin, plusieurs observations expérimentales de composés organiques dans les objets extraterrestres suggèrent de remettre en cause ce mécanisme. Par exemple, dans les météorites, on détecte des molécules "cousines'' des acides aminés, tels les acides hydroxylés, ou d’acides aminés « Bêta » et « Gamma », en compagnie des acides aminés classiques de la famille « Alpha », ce qui ne peut pas être expliqué par le mécanisme de Strecker. La méthode utilisée par les chercheurs suggère que d’autres mécanismes de synthèse prébiotique, qui restent à explorer, sont effectivement possibles.
 

Fragment de la météorite de Murchison
Figure : Fragment de la météorite de Murchison (droite), et particules prélevées pour analyse (dans le tube à essai). Les analyses effectuées ont permis d’identifier des acides aminés dans la météorite.
© United States Department of Energy

 

Référence

Step by Step Strecker Amino Acid Synthesis from ab Initio Prebiotic Chemistry. Théo Magrino, Fabio Pietrucci, A. Marco Saitta. Phys. Chem Let. Publié le 10 mars 2021.
DOI: 10.1021/acs.jpclett.1c00194.
Article disponible sur la base d’archives ouverte hal.

Contact

Théo Magrino
Doctorant, Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie
Antonino Marco Saitta
Professeur des universités à Sorbonne Univ., l'Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie
Communication CNRS Physique