Colloïdes micrométriques
Illustration issue d’une simulation représentant l’expérience où des colloïdes micrométriques diffusent dans l’eau à proximité d’une paroi © Brennan Sprinkle.

Le Comptoscope

Résultat scientifique

Une collaboration internationale a mis au point une méthode expérimentale où le suivi des concentrations de colloïdes plutôt que leurs trajectoires permet néanmoins de décrire les propriétés dynamiques des colloïdes individuels.

Comment décrire le mouvement d'un objet, comme celui d'une balle rebondissante ? En général, on acquiert une séquence d'images – un film – puis on relie la position de l'objet d'une image à l'autre, formant ainsi des trajectoires. C'est grâce à cette méthode qu'Einstein, au début du 20e siècle, a pu comprendre le mouvement erratique aux petites échelles, appelé mouvement brownien, et que Jean Perrin a pu prouver l'existence des atomes en 1913.

Aujourd'hui, on utilise principalement ces trajectoires pour décrire ces systèmes aux petites échelles. Mais dès que l'on cherche à décrire des situations complexes, par exemple avec une centaine de balles identiques rebondissant simultanément, la recherche et l’enregistrement de trajectoires individuelles deviennent problématiques. Comment savoir, d'une image à l'autre, quelle balle est laquelle ? De plus, les balles entrent et sortent du champ de la caméra, interrompant les trajectoires. Il est donc clair que dans ces cas-là, d'autres méthodes d’analyse statistique, ne faisant pas appel aux trajectoires, s’avèrent nécessaires.

Au début du XXème siècle, le physicien polonais Marian von Smoluchowski a introduit une autre façon de décrire les systèmes constitués d’un grand nombre de particules : au lieu de suivre les particules individuellement, il proposait de compter le nombre de particules dans le champ de vision d'un microscope. Parce que les particules bougent, le nombre de particules dans le champ de vision change au cours du temps. À partir de ce nombre fluctuant, il a pu décrire le mouvement brownien dans une situation simple avec peu de particules. Son idée, simple et élégante, est exploitée de nos jours indirectement avec des techniques optiques, et leurs propres limitations, mais a pourtant été pour l’essentiel oubliée par les physiciennes et physiciens.

Aujourd'hui, avec les progrès en microscopie et informatique, on peut pourtant observer des milliers de particules (cellules, bactéries, grosses molécules) automatiquement, rendant la méthode de Smoluchowski facile d'accès. A l'époque de Smoluchowski , les scientifiques comptaient à la main environ 5 particules dans le champ de vision du microscope, mesurant le temps aux battements d'un métronome ! Comme on n'a pas besoin de savoir quelle particule est allée où, mais simplement où sont les particules sur chaque image, cette méthode s’affranchit du problème des trajectoires. On peut ainsi sonder des systèmes bien plus complexes qu'auparavant. De plus, au lieu de sonder une seule fenêtre de vision, on peut diviser l'image en dizaines de champs de vision "virtuels" pour étudier à la fois la dynamique individuelle à l'échelle d'une particule et la dynamique de groupe à une échelle plus mésoscopique, dite dynamique "collective", impliquant de nombreuses particules. 

Dans un travail récent, une collaboration internationale impliquant une physicienne du laboratoire PHysicochimie des Electrolytes et Nanosystèmes InterfaciauX (PHENIX, CNRS / Sorbonne Université) a mis en œuvre cette technique de comptage dans des boîtes d’observation virtuelles du « Comptoscope » proposée par Smoluchowski, et observé la dynamique d’un système modèle de petites billes de verre (représentant par exemple des cellules) dans des régimes de plus en plus denses. Ces chercheurs et chercheuses ont trouvé que tandis que la dynamique individuelle est légèrement freinée par les interactions avec les particules voisines, la dynamique de relaxation collective peut être accélérée par un facteur 10, à cause de subtiles interactions entre particules médiées par le fluide sous-jacent. Ces effets pourraient jouer un rôle dans les systèmes denses de croissance de tissus cellulaires ou de biofilms, que l’on peut maintenant explorer avec cette nouvelle technique. Alors que l’étude s’est intéressée pour l’instant exclusivement à des variantes du mouvement brownien, le Comptoscope est une technique extrêmement sensible à toutes sortes de dynamiques, et les scientifiques espèrent observer et quantifier avec elle d’autres propriétés dynamiques de systèmes complexes et actifs comme la division cellulaire, la nage de bactéries, etc. Ces résultats sont publiés dans la revue Physical Review X.

Figure : Illustration issue d’une simulation représentant l’expérience où des colloïdes micrométriques (sphères blanches) diffusent dans l’eau à proximité d’une paroi. Des boîtes d’observation virtuelles sont représentées en couleur, et souligne la capacité de sonder plusieurs échelles et phénomènes : de la dynamique individuelle (boîte jaune) à la dynamique de groupes de particules, ou collective (boîte rose). Les colloïdes colorés en violet soulignent des groupes resserrés de particules © Brennan Sprinkle.

Référence

The Countoscope: Measuring Self and Collective Dynamics without Trajectories, Eleanor K. R. Mackay, Sophie Marbach, Brennan Sprinkle, et Alice L. Thorneywork, Physical Review X, publié le 18 octobre 2024.
Doi : 10.1103/PhysRevX.14.041016
Archive ouverte : arXiv  

Contact

Sophie Marbach
Chercheuse CNRS, PHysicochimie des Electrolytes et Nanosystèmes InterfaciauX (PHENIX)
Communication CNRS Physique