Interview d'Emmanuel Baudin par l'ENS
Dans cet entretien, le chercheur contact de cette actualité scientifique revient sur cette découverte.
Pour la première fois, l’électroluminescence a pu être observée dans un matériau apparenté aux métaux grâce à l’utilisation de graphène de haute qualité.
Electroluminescence and energy transfer mediated by hyperbolic polaritons. Abou-Hamdan, L., Schmitt, A., Bretel, R. et al. Nature, Publié le 19 mars 2025
Doi :10.1038/s41586-025-08627-6
Archives ouvertes : arXiv
Les diodes électroluminescentes (LEDs) à base de semiconducteurs ont révolutionné le domaine de l’éclairage grand public en divisant par cinq la consommation électrique. Elles ont progressivement supplanté les ampoules à incandescence, qui produisent de la lumière par rayonnement thermique d'un filament métallique. Or, entre ces métaux conducteurs et les semiconducteurs des LED, on trouve le graphène, un matériau bidimensionnel semi-métallique qu’on pourrait qualifier d’« intermédiaire », car il possède des propriétés relevant des deux précédents. Sans surprise, il manifeste par exemple sous forte tension une incandescence bien documentée (dans le visible et le proche infrarouge). En 2018, la mesure des fluctuations de courant électrique avait suggéré que les électrons d’un graphène de haute qualité pouvaient atteindre un état hors équilibre favorable à l'émission de lumière par électroluminescence. Toutefois, cette prédiction, étonnante pour un matériau dépourvu de bande interdite, appelait une confirmation expérimentale.
Dans un article publié dans la revue Nature fruit d'une collaboration française, un groupe de chercheurs français démontre pour la première fois que, sous certaines conditions, le graphène peut émettre au-delà de son incandescence naturelle en entrant dans un régime d'électroluminescence. Celui-ci, émettant (dans le moyen infrarouge) à une longueur d'onde de 6,5 µm, est possible lorsque le cristal de graphène est particulièrement pur et exempt de défauts, tout en étant protégé des agressions physico-chimiques extérieures par une matrice de matériau 2D composée de nitrure de bore hexagonal. Cette découverte a été accompagnée d'une seconde surprise : dans ce régime d'électroluminescence du graphène, les chercheurs ont observé une exceptionnelle augmentation de l’efficacité du transfert d'énergie électromagnétique de champ proche au sein de l'empilement graphène/nitrure de bore. Grâce à la pyrométrie infrarouge - une technique couramment utilisée pour déterminer la déperdition thermique des bâtiments à l'aide d'une caméra infrarouge - les chercheurs ont démontré que les électrons du graphène transfèrent l’essentiel de la puissance électrique injectée dans le dispositif vers le substrat via les excitations élémentaires spécifiques du matériau encapsulant (les phonon-polaritons hyperboliques du Nitrure de Bore). Jusqu'à présent, ce mécanisme de transfert radiatif, bien que connu dans les diodes électroluminescentes à semiconducteurs, était considéré comme un phénomène anecdotique en raison de sa très faible efficacité. Il devient ici le mécanisme de transfert d'énergie dominant (jusqu’à 75%). Enfin, le consortium a démontré que ce transfert d'énergie dépend de manière cruciale de la qualité cristalline de l’encapsulant du graphène. En effet, en utilisant un Nitrure de Bore fabriqué via une méthode de céramisation de polymère, il est possible d'éteindre le transfert électromagnétique en champ proche sans modifier les caractéristiques électriques du système.
L'objectif des chercheurs est maintenant d'exploiter le caractère semi-métallique du graphène pour induire l'électroluminescence à des longueurs d’onde arbitraires. Cette variabilité distinguerait clairement le graphène des semiconducteurs, dont la longueur d’onde d’émission est contrainte par la valeur du gap de la bande interdite. À plus long terme, la flexibilité inédite de ce type de source pourrait ouvrir la voie à des applications dans les domaines de l'optique, des télécommunications et de l'électronique.
Dans cet entretien, le chercheur contact de cette actualité scientifique revient sur cette découverte.