Les champs magnétiques intenses révèlent un ordre magnétique caché dans un supraconducteur à haute température

Résultat scientifique

Les cuprates sont des matériaux complexes qui présentent des propriétés électroniques et magnétiques très étudiées pour comprendre les mécanismes de la supraconductivité à haute température. En utilisant des champs magnétiques très intenses pour révéler les propriétés magnétiques tout en supprimant la supraconductivité, les chercheurs mettent ici au jour un lien entre le magnétisme particulier de la phase isolante et la phase dite de pseudogap, une phase métallique emblématique des cuprates et qui reste énigmatique.

Dans les matériaux supraconducteurs, le courant électrique circule sans dissipation, c'est-à-dire sans consommer d'énergie, ce qui les rend extrêmement attractifs pour beaucoup d’applications. Malheureusement, cette propriété n'existe qu’à basse température ou à haute pression et de très nombreuses recherches visent à comprendre pour quels matériaux elle pourrait être stabilisée dans les conditions ambiantes ordinaires. Parmi les matériaux les plus prometteurs, les cuprates, à base d'oxyde de cuivre, ont la température critique, c'est-à-dire la température au-dessous de laquelle ils sont supraconducteurs, la plus haute connue à ce jour (jusqu'à 150 K pour certains cuprates) dans les conditions ambiantes de pression. Ils ont aussi des propriétés électroniques hors du commun caractérisées par plusieurs phases, dont la phase supraconductrice. Quand ils sont non dopés, les cuprates présentent aussi une phase isolante antiferromagnétique ordonnée, gouvernée par des interactions fortes entre électrons et pour laquelle l'orientation des spins électroniques est alternée d'un atome de cuivre à son voisin. Quand ils sont légèrement dopés avec des charges positives (trous), cet ordre se dégrade, formant une sorte de verre antiferromagnétique. Une phase métallique dite phase de pseudogap existe également, jusqu'à une valeur de dopage limite (figure). La nature de cette phase de pseudogap de même que les liens existant entre les différentes phases sont pour une grande part inconnus alors qu'ils sont probablement une des clés pour comprendre les propriétés supraconductrices à haute température.

Dans ce travail, une collaboration internationale[1] menée par des chercheurs du Laboratoire national des champs magnétiques intenses (LNCMI, CNRS) a placé des échantillons du cuprate La2-xSrxCuO4 dans des champs magnétiques très intenses (jusqu'à 80 T) pour supprimer la phase supraconductrice autour du dopage  marquant la limite d'existence de la phase de pseudogap (égal à 19%). En combinant des mesures de résonance magnétique nucléaire et de vitesse du son, ils ont montré que la phase de verre antiferromagnétique s'étendait alors jusqu'à cette valeur limite de 19% (figure). Ces résultats révèlent ainsi un lien entre la phase antiferromagnétique et la phase de pseudogap, ce qui suggère fortement que les propriétés de cette dernière prennent racine dans la phase isolante du matériau et qu'elles sont donc aussi gouvernées par les interactions fortes entre électrons. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Physics. Ils apportent une nouvelle pierre à la compréhension des cuprates supraconducteurs qui présentent un des défis intellectuels les plus exaltants de la physique du solide moderne.

Le Boeuf 2020
Diagramme de phase (T, p) (température – dopage) de La2-xSrxCuO4. Le dopage p est défini comme le rapport entre le nombre de trous induits par le dopage et le nombre d'atomes de cuivre. A gauche en champ magnétique nul (B = 0) : la phase de verre antiferromagnétique (verre AFM) reste confinée au régime peu dopé. A droite avec un champ magnétique suffisamment intense pour supprimer la supraconductivité (B = 80 T), la phase de verre AFM s’étend alors jusqu’au dopage critique p* où la phase de pseudogap disparait.
 

[1] En collaboration avec l'institut Néel (CNRS) et des laboratoires chinois, américain, japonais et suisse.

Référence

Hidden magnetism at the pseudogap critical point of a cuprate superconductor. M. Frachet, I. Vinograd, R. Zhou, S. Benhabib, S. Wu, H. Mayaffre, S. Krämer, S. K. Ramakrishna, A. P. Reyes, J. Debray, T. Kurosawa, N. Momono, M. Oda, S. Komiya, S. Ono, M. Horio, J. Chang, C. Proust, D. LeBoeuf et M.-H. Julien, Nature Physics, le 06 juillet 2020.
DOI: 10.1038/s41567-020-0950-5
Article disponible sur les bases d’archives ouvertes HAL et ArXiv.

Contact

David Le Boeuf
Chargé de recherche au CNRS, Laboratoire national des champs magnétiques intenses
Communication CNRS Physique