Les imageurs infrarouges à base de nanocristaux font un pas vers le monde industriel

Résultat scientifique

Un consortium de chercheurs et chercheuses a mis au point de nouveaux matériaux colloïdaux avec une structure cœur-coquille qui leur confère la stabilité nécessaire pour une utilisation à long terme dans des caméras infrarouges.

L'année dernière, le prix Nobel de chimie a célébré les nanocristaux comme une nouvelle génération de sources lumineuses, tant traditionnelles que quantiques. Cependant, leur intérêt ne se limite pas à l'émission de lumière, et d'importants progrès ont été réalisés pour les rendre photoconducteurs et en faire ainsi des matériaux pertinents pour la photodétection. En ajustant leur taille et leur composition, il est possible de les faire émettre dans la gamme infrarouge, une plage de longueurs d’onde problématique, compte tenu du fait que d’une part les composants optoélectroniques émettant dans l’IR sont chers et que d’autre part, les preuves de concept pour de nouvelles générations utilisant les nanocristaux se heurtent à des problèmes de stabilité.

Au coeur des récents progrès de l'optoélectronique se trouve le concept d'hétérostructure. Dans une hétérostructure, deux semi-conducteurs sont juxtaposés afin de créer de nouvelles propriétés. Ces structures sont par exemple utilisées pour fabriquer des puits quantiques, à l’oeuvre dans les diodes laser. Pour les nanocristaux colloïdaux, les hétérostructures ont été utilisées au milieu des années 90, lorsque les premières structures cœur-coquille faites de CdSe-ZnS ont été mises au point. L'introduction de la coque a permis une augmentation significative de la luminosité des nanocristaux, un aspect qui a été crucial pour leur intégration commerciale dans les écrans QLED.

La principale difficulté de la croissance de la coque réside dans le désaccord des paramètres de maille entre les deux matériaux (voir figure, ci-contre à gauche). Dans l'infrarouge, il est pertinent d'utiliser des atomes lourds et donc de grande taille, qui entraînent cependant un désaccord de paramètres de maille supérieur à 10 % par rapport aux matériaux traditionnellement utilisés pour les coques. De plus, les matériaux infrarouges ont tendance à se détériorer même à des températures modérées (voir courbe 2a). Cette sensibilité à la température est problématique en pratique car le matériau peut être endommagé par l'effet Joule résultant du fonctionnement du composant.

Pour surmonter ces défis, des ingénieurs, ingénieures, chercheurs et chercheuses de l’Institut des NanoSciences de Paris (INSP, CNRS / Sorbonne Université) ont mis au point une méthode astucieuse consistant à utiliser des précurseurs monomoléculaires très réactifs contenant les deux atomes nécessaires à la croissance de la coque. Il devient alors possible de faire croître une fine coque de CdS sur des cœurs de HgTe. Le bénéfice de cette coque est illustré sur la courbe 2b, montrant que le matériau ne subit plus de modification de son spectre après recuit. Cette stabilité accrue rend le matériau compatible avec des modifications ultérieures telles que la structuration par lithographie, qui nécessite d'exposer les nanocristaux à des recuits, ou encore une étape d'encapsulation par ALD (atomic layer deposition).

Pour démontrer le potentiel de ce nouveau matériau, les scientifiques, en collaboration avec la PME New Imaging Technologies, ont ensuite fabriqué un imageur infrarouge. Les nanocristaux ont été modifiés pour les rendre photoconducteurs, puis déposés sous forme de film à la surface du circuit de lecture. L'imageur obtenu, visible sur la figure, montre une stabilité sensiblement améliorée par rapport à la génération précédente, qui vieillissait rapidement en raison de l'effet Joule résultant du fonctionnement du circuit de lecture. Les équipes souhaitent désormais étendre la gamme spectrale de ces imageurs vers le moyen infrarouge. Cependant, de nouveaux défis devront être relevés, tels que l'augmentation de la température de fonctionnement des composants pour éviter d'avoir recours à des machines à froid encombrantes. Ces résultats sont publiés dans la revue Nano Letters.

Illustration Lhuillier
Figure : Graphe a : Spectre d’absorption d’un film de nanocristaux infrarouge recuit à 100C° sans coque. Graphe b : avec une coque de CdS. On remarque la stabilité du système après recuit © E. Lhuillier.

Référence

Infrared Imaging Using Thermally Stable HgTe/CdS Nanocrystals, Huichen Zhang, Yoann Prado, Rodolphe Alchaar, Henri Lehouelleur, Mariarosa Cavallo, Tung Huu Dang, Adrien Khalili, Erwan Bossavit, Corentin Dabard, Nicolas Ledos, Mathieu G Silly, Ali Madouri, Daniele Fournier, James K. Utterback, Debora Pierucci, Victor Parahyba, Pierre Potet, David Darson, Sandrine Ithurria, Bartłomiej Szafran, Benjamin T. Diroll, Juan I. Climente, et Emmanuel Lhuillier, Nano Letters, publié le 12 avril 2024.
Doi : 10.1021/acs.nanolett.4c00907
Archive ouverte : HAL

Vidéo détaillant la fabrication de la caméra et son utilisation pour l’imagerie infrarouge :

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Contact

Emmanuel Lhuillier
Chargé de recherche CNRS à l'Institut des NanoSciences de Paris (INSP)
Communication CNRS Physique