L'océan est modélisé comme un bassin océanique carré de 5000 km de côté, une version physicienne idéalisée de l'Atlantique nord.
L'océan est modélisé comme un bassin océanique carré de 5000 km de côté, une version physicienne idéalisée de l'Atlantique nord © Lennard Miller, Bruno Deremble et Antoine Venaille / IGE / Grenoble, LPENSL / CNRS

Où l'océan dissipe-t-il l'énergie qu'il reçoit des vents dominants ?

Résultat scientifique

Des simulations numériques montrent que la friction hydrodynamique aux abords des côtes joue un rôle crucial pour expliquer la stabilisation de l’écoulement moyen de l’océan dans l’Atlantique Nord.

Dans l'océan, les sources d'énergie sont bien connues, puisqu’il s’agit principalement de l’action des vents dominants sur la mer, et dans une moindre mesure des écoulements créés par des différences de température ou de salinité. Ainsi, la circulation océanique dans l’Atlantique Nord est-elle décrite en moyenne par un écoulement tourbillonaire de grande échelle dans le sens des aiguilles d’une montre, la gyre Nord Atlantique (dont le Gulf Stream est une composante), qui se superpose aux alizés soufflant vers l’ouest près de l’équateur et aux vents dominants d’ouest à nos latitudes.

En revanche, l'identification des régions où l’énergie est dissipée reste un problème largement ouvert, car les processus de dissipation ont lieu dans les petites échelles de l’écoulement qui elles-mêmes résultent de la cascade turbulente censée redistribuer de façon complexe l’énergie injectée à grande échelle vers les échelles les plus petites. Afin d'étudier le rôle des côtes dans ces processus de dissipation, une collaboration de chercheurs du Laboratoire de physique de l'ENS de Lyon (LPENSL, CNRS / ENS de Lyon) et de l’Institut des géosciences de l'environnement (IGE, CNRS / INRAE / IRD / Université Grenoble Alpes) a revisité un modèle classique qui décrit l'émergence de gyres océaniques avec des courants de bord intensifiés à l’ouest, comme le Gulf Stream dans l’Atlantique nord ou le Kuroshio dans le Pacifique. Ce modèle décrit un écoulement en deux dimensions forcé par les vents, une simplification justifiée par le fait que le rapport d’aspect d’un océan (épaisseur divisée par taille latérale caractéristique) est proche de celui d’une feuille de papier, à l’échelle planétaire.

À l'aide de simulation numériques, les chercheurs montrent que les gyres océaniques persistent dans la limite où les termes de dissipation visqueuse sont très petits, avec un taux de dissipation d’énergie qui reste constant, indépendant de la valeur de la viscosité du fluide. Ce phénomène d’anomalie dissipative est bien connu dans les écoulements en trois dimensions d’espace, mais est surprenant dans le contexte d’un écoulement en deux dimensions. En effet, en dimensions trois, les gros tourbillons se déstabilisent et créent des petits tourbillons et ainsi de suite, jusqu’à atteindre les échelles dissipatives de manière très efficace. En deux dimensions, tant qu’il n’y a pas de parois latérales, il est connu qu’un phénomène inverse se produit : les petits tourbillons coalescent pour former de gros tourbillons très stables, jusqu’à former un vortex gigantesque qui occupe l’ensemble du bassin océanique, l’énergie totale augmentant sans arrêt à cause d’une dissipation inefficace. Pour éviter l’émergence d’un tel vortex irréaliste, les modèles d’océans existants doivent alors prendre en compte des effets 3D, ou ajouter des termes de dissipation comme la friction avec le fond marin.

Cette étude montre pour la première fois que ces vortex géants ne peuvent pas se former dans les modèles d’océan 2D qui prennent en compte des parois latérales où la vitesse s’annule: les gyres océaniques de faible énergie persistent, tout en étant superposées à un vigoureux gaz de vortex localisés et intenses, créés le long des côtes. Il n’est dès lors pas nécessaire d’invoquer un mécanisme de dissipation supplémentaire pour expliquer la stabilisation des écoulements de gyres dans un régime turbulent. Ce travail est une première étape vers l’étude du cycle d’énergie océanique dans des modèles plus réalistes qui prennent en compte la stratification de l’océan. Il est publié dans la revue Physical Review Fluids.

Illustration Venaille
Figure : L'océan est modélisé comme un bassin océanique carré de 5000 km de côté, une version physicienne idéalisée de l'Atlantique nord. Gauche : dans la limite des faibles dissipations, l'océan apparaît à tout moment comme une mer de tourbillons. Droite : lorsque cet écoulement est moyenné sur des temps très longs, les tourbillons disparaissent et l'on retrouve une gyre océanique intensifiée sur le bord ouest. Les couleurs codent le sens de rotation des tourbillons © Lennard Miller, Bruno Deremble et Antoine Venaille / IGE / Grenoble, LPENSL / CNRS.

Référence

Gyre turbulence: Anomalous dissipation in a two-dimensional ocean model, Lennard Miller, Bruno Deremble, et Antoine Venaille, Physical Review Fluids, publié le 3 mai 2024.
Doi : 10.1103/PhysRevFluids.9.L051801
Archive ouverte : arXiv

Contact

Antoine Venaille
Chercheur CNRS, Laboratoire de Physique (LPENSL)
Communication CNRS Physique