Piéger et manipuler un objet sans contact avec un faisceau acoustique

Résultat scientifique

En sculptant le front d’onde d’un faisceau ultrasonore, des physiciens ont réalisé la première pince acoustique et l’ont utilisée pour piéger et manipuler un objet élastique de taille submillimétrique.

Une onde sonore suffisamment intense peut soulever des particules solides ou fluides, voire même des organismes vivants et des petits animaux, de taille centimétrique. Cette opération nécessite un réseau tridimensionnel de maxima et minima d’intensité acoustique à l’aide de l’onde stationnaire produite par un système de plusieurs émetteurs et de réflecteurs. L’avantage de cette lévitation en réseau, qui agit en même temps sur un grand nombre de particules, est aussi sa principale limitation. Il s’avère impossible de manipuler les particules une à une comme le font si bien les pinces optiques dont les faisceaux laser focalisés permettent à des objets individuels de taille micrométrique de léviter. C’est pourtant ce que viennent de réaliser des physiciens de l’Institut des Nanosciences de Paris (CNRS/UPMC) et de l’Institut Jean le Rond d’Alembert (UPMC/CNRS) en réalisant la première « pince acoustique ». Ils ont piégé et manipulé une bille de polystyrène d’une centaine de micromètres de diamètre avec un unique faisceau ultrasonore progressif et focalisé. La zone focale de ce faisceau d’un volume d’environ un millimètre cube agit comme un piège tridimensionnel capable d’attirer des objets situés à proximité en exerçant une force jusqu’à un million de fois plus grande qu’un laser pour une puissance incidente comparable. Ce travail est publié dans la revue Physical Review Letters.

Une pince optique est constituée d’un faisceau laser focalisé dans lequel on place une particule transparente. Telle une lentille, cette dernière dévie la lumière qui la traverse. Il en résulte une force qui attire la particule dans les zones où l’intensité lumineuse est maximale, c’est-à-dire sur l’axe du faisceau, à son point de focalisation. En outre, dès que la particule réfléchit ou absorbe la lumière, il apparait une force qui la pousse dans la direction de propagation du faisceau, et cela de manière bien plus intense que la force de capture. Les ondes sonores produisent exactement le même type de force, mais hélas, il n’existe pas d’objet solide qui soit « transparent » aux ondes acoustiques. Tous les objets absorbent ou réfléchissent les ondes acoustiques et la force de poussée est donc toujours présente. C’est pour cette raison que jusqu’à présent, toutes les techniques de manipulation acoustique mettaient en œuvre des ondes stationnaires qui annulent cette poussée, ou une paroi qui bloque la particule piégée. Les physiciens de l’INSP et de d’Alembert ont contourné cette difficulté en réalisant un faisceau acoustique « creux ». Dans ce « vortex acoustique », le front de l’onde décrit une hélice autour de l’axe de propagation où le champ s’annule. Ce champ acoustique particulier est synthétisé grâce à un réseau de 120 transducteurs piézoélectriques émettant des ultrasons d’une fréquence de 1 mégahertz. Ces émetteurs sont répartis sur un pavage hexagonal compact dont les chercheurs contrôlent indépendamment la phase et l’amplitude d’émission afin d’obtenir le front d’onde désiré (voir schéma). Une lentille acoustique spécialement conçue pour l’expérience focalise ce faisceau à une distance de 8 centimètre des émetteurs. Le faisceau émis agit comme un piège qui attire tout solide élastique de taille inférieure à la longueur d’onde, situé à proximité, vers l’œil du « cyclone » où il reste définitivement piégé. Les options pour manipuler l’objet sont alors de déplacer physiquement l’émetteur ou de contrôler électroniquement la position de la focale. Avec ce dispositif, les chercheurs ont piégé et manipulé des sphères de polystyrène de 200 à 400 micromètres de diamètre avec des forces maximales de l’ordre de 1 micro-newton. Il devient ainsi possible d’envisager de manipuler des objets dans des milieux opaques et complexes, autrement inaccessibles aux pinces optiques, avec des forces pertinentes pour sonder et étudier des milieux mous, complexes et biologiques.

Image retirée.
Schéma de la "pince acoustique" à faisceau ultrasonore unique. 
120 transducteurs piézoélectriques disposés sur un plan d’émission génèrent un vortex acoustique. Ces faisceaux particuliers créent une zone sur l’axe de propagation où l’amplitude de la pression acoustique est nulle. Les chercheurs ont démontré qu’une particule élastique située à proximité de ce "cœur de silence" est attirée par une force acoustique tri-dimensionnelle.
© APS/Alan Stonebraker

 

En savoir plus

Observation of a single-beam gradient force acoustical trap for elastic particules : acoustic tweezers 
D. Baresch1, J.-L. Thomas1 et R. Marchiano2 
Physical Review Letters, le 11 janvier 2016.

 

Informations complémentaires

1 Institut des Nanosciences de Paris (INSP) 
2 Institut Jean le Rond d’Alembert

Contact

Jean-Louis Nahon
Jean-Michel Courty
Chargé de mission institut
Marine Charlet-Lambert
Chargée de communication
Communication CNRS Physique