Production de champs magnétiques intenses avec des supraconducteurs : un verrou levé

Résultat scientifique

Des chercheurs de Grenoble (LNCMI/CNRS) et de Saclay (Irfu/CEA) viennent d’établir un nouveau record mondial en produisant un champ magnétique de 32,5 teslas pendant une durée de plusieurs minutes grâce à la bobine supraconductrice « Nougat ». Avec cette première mondiale, les chercheurs ouvrent la voie à la production de champ magnétique très intense – de 30 à 50 teslas – en continu, par des dispositifs intégralement supraconducteurs et donc particulièrement économes en énergie. De nombreux domaines de recherches en bénéficieront : spectroscopie RMN, fusion thermonucléaire, lévitation magnétique…

Développé au sein du laboratoire CNRS/LNCMI de Grenoble, ce prototype de bobinage en cuprate supraconducteur est le fruit d’une collaboration CEA-CNRS. Jusqu’à présent, un verrou technologique interdisait l’utilisation de supraconducteurs au cœur des aimants qui produisent en continu des champs aussi intenses. C’est l’utilisation de la technique innovante d’«isolation métallique» qui a permis aux chercheurs de mettre en œuvre un bobinage central en cuprate supraconducteur. Ceci a permis d’assurer un fonctionnement stable et d’éliminer tout risque de dommage irréversible en cas d’incident, ce qui était le défaut des solutions développées aux USA et au Japon.

Pour produire des champs magnétiques très intenses – jusqu’à 45 teslas – il est actuellement nécessaire de combiner un électroaimant supraconducteur externe avec un bobinage interne en cuivre. Avec une consommation électrique de plusieurs dizaines de mégawatts, ces dispositifs hybrides sont très énergivores, et de plus, les durées d’expériences sont limitées à quelques heures. Pour pallier ces deux problèmes, la solution serait de réaliser bobinage central avec un supraconducteur, tout comme le bobinage externe. L’utilisation des supraconducteurs « classiques » utilisés pour l’aimant externe est hélas exclue : lorsque le champ magnétique dépasse 23 teslas, ces matériaux redeviennent normaux et ne sont plus supraconducteurs. La solution consiste à utiliser des matériaux tels que les cuprates, qui restent supraconducteurs jusqu’à des champs magnétiques de plusieurs dizaines de teslas. Les dispositifs développés avec ces matériaux depuis de nombreuses années aux États-Unis et au Japon souffrent toutefois de problèmes techniques récurrents, dus notamment à des surchauffes locales du matériau, et ne sont de ce fait toujours pas utilisables par la communauté scientifique.

La nouveauté que vient de valider pour la première fois l’équipe CNRS-CEA, consiste à utiliser la technique de bobinage à « isolation métallique » en double-galettes. Cette technique alternative consiste en un co-bobinage du ruban de cuprate avec un ruban métallique, sans isolation et sans imprégnation. En permettant la redistribution du courant entre les tours du bobinage lors de défaillances locales du cuprate, cette solution assure une excellente protection contre les sur-échauffements excessifs et apporte le renfort mécanique supplémentaire nécessaire pour lutter contre les forces magnétiques très importantes à ces valeurs de champ. La campagne de tests de l’insert en cuprate Nougat à haut champ s’est déroulée avec succès au CNRS/LNCMI à Grenoble. L’insert a atteint deux fois son point de fonctionnement nominal de 30 teslas, dont 12 teslas ont été générés par l’aimant supraconducteur seul. L’insert a fonctionné plus de 6 minutes au-dessus de cette valeur avec des paliers à 31 teslas puis 32 teslas et un nouveau record du monde a été établi pour un insert supraconducteur de cette taille (diamètre utile de 38 mm) avec un champ magnétique central de 32,5 teslas dont 14,5 teslas sont issus du seul aimant supraconducteur. Ce résultat démontre que la technologie à « isolation métallique » est désormais mature. Un aimant générant des champs magnétiques supérieurs à 30 teslas avec un cœur supraconducteur est donc maintenant réalisable. Ce travail ouvre aussi la voie à d’importantes économies d’énergie, car cela permet de remplacer partiellement des expériences sur des installations résistives de plusieurs mégawatts par des aimants supraconducteurs de quelques dizaines de kilowatts. L’utilisation de matériaux supraconducteurs permet de plus des gains importants de compacité.

Production de champs magnétiques intenses avec des supraconducteurs : un verrou levé
Insert SHT NOUGAT composé de ses 9 double-galettes © CNRS/LNCMI – Jung-Bin SONG

 

Contact

Charles Simon
Directeur de recherche CNRS au LNCMI
Communication CNRS Physique