Propriétés vitreuses dans un système quantique
Des simulations numériques révèlent que le phénomène de localisation d’Anderson, qui se manifeste dans le transport quantique, vérifie à deux dimensions et à température nulle des propriétés fondamentales des verres : l’accrochage, les avalanches et le chaos. Ces propriétés dépendent des interférences quantiques, faisant de la localisation d’Anderson une sorte de verre quantique.
Le désordre est souvent présent en matière condensée, sous la forme d’impuretés dans les solides cristallins, ou dans l’arrangement structurel aléatoire des verres. Il peut avoir des conséquences dramatiques, comme empêcher le transport ou induire des relaxations extrêmement lentes vers l’équilibre (écoulement infiniment lent du verre). Dans le régime quantique, où la nature ondulatoire des particules ne peut être négligée, la localisation d’Anderson naît des effets d’interférences en présence de désordre. C’est un mécanisme clé de la non-ergodicité, c’est-à-dire de l’émergence d’une très forte inhomogénéité spatiale, dans les systèmes quantiques désordonnés. Ses effets les plus remarquables sont par exemple le caractère isolant des matériaux désordonnés. La localisation d’Anderson a été observée dans de nombreuses situations expérimentales, avec des ondes classiques ou des ondes de matière. La physique des verres est un autre paradigme de comportements non-ergodiques dans les systèmes classiques désordonnés. Un modèle simple, mais à la physique extrêmement riche, est le verre de spin : un aimant désordonné, où les moments magnétiques des atomes le composant (les spins) ne sont pas alignés de manière régulière. L’étude de ces verres a conduit à d’importantes avancées théoriques et a trouvé des applications nombreuses, en biologie, ou encore en algorithmique avec l'optimisation de trajectoires.
Peu d'analogies ont été établies entre la localisation d'Anderson et la physique des verres : on peut citer le transport à température finie (le verre d’électrons) ou la localisation dans certains types de graphes aléatoires. Dans un article publié dans Physical Review Letters, un physicien du Laboratoire de physique théorique (LPT, CNRS/Université Toulouse Paul Sabatier) montre que le transport quantique à température nulle (parfaitement cohérent contrairement au cas du verre d’électrons) et à deux dimensions spatiales suit, dans le régime de localisation d’Anderson, des propriétés caractéristiques des verres de spin. Les résultats de simulations numériques montrent que la localisation d'Anderson confine le transport quantique suivant des chemins contraints par le désordre, tout comme une rivière coule nécessairement dans une vallée creusée entre deux montagnes. Ces chemins sont figés dans une configuration qui ne bouge pas de façon progressive lorsque le système est perturbé, mais effectuent parfois une avalanche, c’est-à-dire sautent brutalement dans une configuration très différente. La propriété vitreuse du chaos caractérise l’extrême fragilité de ces configurations vitreuses : une perturbation infinitésimale, par exemple de l’énergie, induit une réorganisation complète des chemins empruntés par le transport. Finalement, ces propriétés vitreuses dépendent totalement des effets d'interférence quantique. La localisation d’Anderson ouvre ainsi un nouveau terrain de jeu pour l’étude de la physique vitreuse quantique, qui pourrait être exploré expérimentalement dans de nombreux systèmes, de la matière condensée aux atomes froids.
Référence
Glassy properties of Anderson localization: pinning, avalanches, and chaos. Gabriel Lemarié, Physical Review Letters, le 22 janvier 2019.
Lire l’article sur les bases d’archives ouvertes ArXiv et HAL.