Quand l’ordre émerge du désordre: un démon de Maxwell macroscopique
Des scientifiques ont réalisé à l’échelle macroscopique un dispositif permettant d’extraire de l’énergie de fluctuations désordonnées. Ce type d’expériences fut imaginé au XIXème siècle par le physicien Maxwell pour montrer qu’à l’inverse de ce qu’affirme la thermodynamique, l’entropie peut décroître, suscitant un long débat, célèbre dans l’histoire de la physique.
Le mouvement perpétuel est depuis longtemps le domaine réservé des rêveurs et des artistes, car depuis le XIXème siècle, les physiciens et physiciennes savent qu’un tel phénomène n’est pas possible. Les interactions des corps macroscopiques entre eux dissipent tôt ou tard leurs mouvements, ce que Clausius avait formalisé en 1865 en découvrant qu’une certaine grandeur, l’entropie, ne peut qu’augmenter dans les évolutions spontanées des systèmes isolés. À cette intuition géniale de Clausius manquait cependant un point fondamental : quelle était le contenu physique de cette grandeur, et que mesurait-elle au juste ?
Cette question fut une immense interrogation qui préoccupa les physiciens de la fin du XIXème siècle, jusqu’à ce que l’hypothèse atomique s’impose et avec elle les théories statistiques de Boltzmann et Gibbs. Dans cette histoire passionnante le nom de James Clerk Maxwell, bien que plus connu pour avoir fondé l’électromagnétisme classique, apparaît de façon décisive. Fervent promoteur de l’hypothèse atomiste, il voulut démontrer que celle-ci entraîne nécessairement que l’entropie est une grandeur d’essence statistique et informationnelle. À cette fin il imagina une expérience de pensée où une intelligence (le « démon de Maxwell ») est capable d’opérer à l’échelle microscopique et de trier les particules passant à sa portée, sans qu’aucune grandeur mécanique macroscopique ne soit changée par ailleurs. Ce que faisant, Maxwell montra que son démon réussirait selon les versions à faire baisser l’entropie dans un système initialement équilibré, voire même à créer un mouvement perpétuel...
Pour répondre à l’objection de Maxwell, les physiciennes et physiciens ont progressivement compris que tout système physique jouant effectivement le rôle du démon serait soumis lui aussi aux lois de la physique et que l’entropie calculée globalement pour intégrer ce dernier se conformerait aux lois prévues par Clausius. Ce débat, pendant longtemps uniquement théorique, a connu il y a dix ans un développement nouveau car en 2010 a été réussie pour la première fois une expérience réalisant l’idée de Maxwell, à un niveau cependant microscopique. Une étape supplémentaire a été franchie très récemment, puisque des chercheurs et chercheuse du Laboratoire de Physique de l’École Normale Supérieure de Lyon (LPENSL, CNRS / ENS de Lyon) ont réussi pour la première fois à créer un démon de Maxwell à l’échelle macroscopique. Le système observé par le « démon » est une plaque reliée à un axe vertical autour duquel elle peut tourner et qui est plongée dans un « gaz » de billes d’acier. Ce gaz est maintenu dans un état stationnaire par un vibreur agitant violemment le système dans la direction verticale (cf. figure 1). La rotation de cette plaque entraîne une dynamo qui convertit l’énergie de rotation en électricité. Le signal électrique est suivi et analysé en direct par un système électronique qui joue le rôle d’un démon qui n’extrait l’énergie produite que quand la rotation se fait dans le sens horaire. Cette procédure est l’équivalent électrique du tri « informé » que pratique le démon imaginé par Maxwell. Elle permet aux scientifiques d’observer l’extraction de travail d’un système mimant au niveau macroscopique un système à l’équilibre, et d’étudier en détail ses caractéristiques. Cette violation de la thermodynamique n’est bien sûr qu’apparente, les auteurs et autrices insistant sur la très grande différence de température entre celle, effective, du gaz de billes, et celle de l’électronique de suivi.
Ces résultats sont publiés dans les Physical Review Letters.
Références
Human-Scale Brownian Ratchet: A Historical Thought Experiment. M. Lagoin, C. Crauste-Thibierge, A. Naert, Physical Review Letters, paru le 15/09/2022
DOI : 10.1103/PhysRevLett.129.120606
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