Quand un superfluide passe le mur du son

Résultat scientifique Physique quantique

Des physiciennes et des physiciens ont réalisé pour la première fois l'écoulement superfluide d’un gaz quantique à une vitesse très largement supersonique. Le gaz en rotation dans une bulle magnétique est expulsé du centre par la force centrifuge et adopte spontanément une forme annulaire. Ces résultats éclairent la physique des superfluides en rotation ultra-rapide.

Un superfluide est un fluide parfaitement non visqueux qui, à vitesse modérée, peut s’écouler sans dissipation, c'est-à-dire, à l'échelle des atomes, sans que des excitations ne perturbent leur mouvement. La superfluidité, comme la supraconductivité, est ainsi une manifestation à une échelle macroscopique de la physique quantique qui décrit le fluide à l’échelle microscopique. On la rencontre à très basse température, comme à environ 2 kelvins dans l’hélium liquide ou à quelques centaines de nanokelvins dans les nuages d'atomes ultra-froids appelés gaz quantiques. Qu’en est-il si l’écoulement superfluide devient très rapide ? Au-delà d’une vitesse d’écoulement critique, proche de la vitesse du son dans le fluide, les excitations deviennent possibles : il y a alors dissipation et le fluide perd sa superfluidité. De plus, dépasser la vitesse du son facilite l'occurrence de perturbations importantes comme des ondes de chocs provoquées par les moindres aspérités sur le trajet du fluide. Créer un écoulement superfluide supersonique est donc une véritable gageure !
 
Des physiciennes et physiciens du Laboratoire de physique des lasers (LPL, CNRS/Univ. Sorbonne Paris Nord) ont relevé le défi et ont pour la première fois créé un écoulement supersonique d'un gaz quantique superfluide composé d'atomes de rubidium à une température de l'ordre de quelques dizaines de nanokelvins. Pour cela, ils ont confiné le nuage à l'aide d'un champ magnétique très régulier, pour qu'il se trouve comme dans une bulle extrêmement lisse de 100 micromètres de diamètre environ. Des champs magnétiques radiofréquences permettent de mettre le gaz en rotation. La force centrifuge pousse alors les atomes sur les parois de la bulle, créant un trou au centre et donnant au nuage une forme d'anneau dont la rotation persiste plus d'une minute. La bulle est tellement lisse que des vitesses très élevées, jusqu'à 20 fois la vitesse du son, sont atteintes tout en préservant la superfluidité ! Ces résultats sont parus dans la revue Physical Review Letters.
 
Les expérimentateurs ont également étudié une excitation de cet anneau en rotation lui donnant une forme légèrement elliptique qui elle-même tourne lentement. Alors que les théoriciens prévoient que cette déformation devrait toujours tourner dans un sens opposé à celui de l'écoulement, ils ont observé qu'au-delà d'une certaine vitesse d'écoulement la déformation tournait au contraire dans le même sens que les atomes. Dans une prochaine étape, l'étude des mécanismes de dissipation de la rotation à partir des vitesses supersoniques obtenues permettra de confronter à l’expérience les différentes théories publiées. À plus long terme, c'est le « tourbillon quantique géant » que doit devenir l'anneau au-delà d'une certaine vitesse de rotation, la valeur de celle-ci étant encore débattue parmi les théoriciens, qui sera l'objet d'étude. La démonstration expérimentale faite ici ouvre ainsi de nouvelles perspectives à l'étude des gaz quantiques en rotation rapide, jusque-là une source d'inspiration féconde réservée à la physique théorique.
 

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Profil de densité de l'écoulement annulaire à la vitesse de 7 mm/s (ce qui correspond à Mach 15) de 20 000 atomes de rubidium à quelques dizaines de nanokelvins. Le rayon de l'anneau est de 30 micromètres. L'image en fausse couleur est obtenue par absorption d'un laser résonnant. © R. Dubessy, LPL (CNRS/Univ. Sorbonne Paris Nord)

Références

Supersonic rotation of a superfluid: a long-lived dynamical ring.
Y. Guo, R. Dubessy, M. de Goër de Herve, A. Kumar, T. Badr, A. Perrin, L. Longchambon, et H. Perrin, Physical Review Letters, le 17 janvier 2020. DOI: 10.1103/PhysRevLett.124.025301
Article disponible sur les bases d’archives ouvertes arXiv et HAL.

Contact

Hélène Perrin
Directrice de recherche au CNRS, Laboratoire de physique des lasers
Communication CNRS Physique