Réduire une molécule en dopant le graphène

Résultat scientifique

Avec sa réputation de matériau miracle, le graphène n’en finit pas de trouver de nouvelles applications. Des physiciens ont montré qu’il permet la réduction chimique de molécules lorsqu’il est dopé avec de l’azote. Le phénomène a été observé pour la première fois, grâce à un microscope à effet tunnel, sur des phthalocyanines de cobalt.

Matériau bidimensionnel par excellence, le graphène est un simple feuillet d’atomes de carbone. Cet agencement lui confère une impressionnante liste de propriétés, notamment chimiques et électriques, que les chercheurs tentent d’allonger en modifiant sa structure et sa composition. Ainsi, lui ajouter d’autres atomes que ceux de carbone, comme de l’azote, pourrait ouvrir des applications pour l’énergie, la catalyse, la chimie ou l’électronique moléculaire. Grâce à sa structure bidimensionnelle, le matériau dispose notamment d’une très grande surface qui lui permet d’interagir facilement avec toutes formes de matière. En déposant des phthalocyanines de cobalt (CoPc) sur du graphène dopé à l’azote, des physiciens du Laboratoire matériaux et phénomènes quantiques (MPQ, CNRS/Université de Paris), du Service de physique de l’état condensé (SPEC, CNRS/CEA), du Centre de recherche physique de la matière et du rayonnement (Université de Namur, Belgique) et du Centre Jawaharlal Nehru pour la recherche avancée (JNCASR, Inde) ont obtenu la réduction chimique d’une partie des CoPc. Cette réussite a été confirmée par une visualisation directe, à l’échelle atomique, avec un microscope à effet tunnel (STM). Ces travaux permettraient par exemple de faciliter la réduction du CO2, afin de le reconvertir pour produire de l’énergie.

En effet, si le CoPc était déjà connu pour sa capacité à réduire le CO2 lorsqu’il est lui-même réduit, les chercheurs voulaient à l’origine surtout tester si le graphène dopé pouvait modifier ses propriétés magnétiques, dues à la présence d’un atome de cobalt. L’effet s’est révélé si important qu’il peut aboutir au transfert d’une charge électronique complète, et donc à une réduction chimique. Les observations au STM montrent que, lorsque la molécule de CoPc se trouve au-dessus d’un seul atome d’azote, le transfert de charge est généralement fractionnaire et la molécule est dans un état neutre CoPc0. Mais lorsqu’elle se trouve sur une paire d’atomes d’azote, elle est réduite et passe à un état chargé CoPc-. Ces travaux expliquent ainsi comment la position d’une molécule par rapport à des impuretés qui dopent le graphène permet de moduler le transfert de charge entre la molécule et le graphène. Les chercheurs espèrent à présent pouvoir tester la réduction d’autres molécules que le CoPc.

Lagoute 2020
Schéma (gauche) et image STM (droite) de 4 nm de côté de deux molécules de CoPc sur du graphène dopé par de l’azote. La molécule située au-dessus d’une paire d’atomes d’azote est chargée alors que la molécule sur un seul azote reste neutre. © J. Lagoute, MPQ (CNRS/Univ. de Paris)

 

Référence

Direct observation of the reduction of a molecule on nitrogen pairs in doped graphene. M. Bouatou, S. Mondal, C. Chacon, F. Joucken, Y. Girard, V. Repain, A. Bellec, S. Rousset, S. Narasimhan, R. Sporken, Y.J. Dappe, and J. Lagoute, Nano Letters, le 24 août 2020.
DOI : 10.1021/acs.nanolett.0c03030

Contact

Jérôme Lagoute
Directeur de recherche au CNRS, Laboratoire matériaux et phénomènes quantiques
Yannick Dappe
Chargé de recherche au CNRS, Service de physique de l'état condensé (SPEC)
Communication CNRS Physique