Repousser la limite de la conductance d’un matériau en contrôlant les interactions entre électrons
Des physiciens ont observé que le courant électrique peut dépasser la limite quantique théorique de conductance, en exploitant les corrélations se développant au voisinage d’une transition de phase quantique.
Jusqu’où peut monter la conductance électrique ? A l’inverse de la résistance, cette quantité mesure la facilité avec laquelle passe le courant. En physique fondamentale, la conductance constitue un outil de caractérisation de tout premier plan. Dans les puces électroniques, augmenter la conductance de pistes permettrait de réduire le chauffage qui limite les performances.
La théorie standard du transport quantique prédit cependant une limite supérieure pour la conductance, même en l’absence de défauts. Cette limite reflète le fait que les électrons traversant un conducteur étroit doivent passer les uns à la suite des autres, avec chacun une extension minimale imposée par la mécanique quantique. Toutefois, lorsque les interactions sont très fortes, on ne peut plus considérer les électrons séparément. On se trouve alors dans un état intermédiaire, entre les électrons libres et la supraconductivité. Cette limite peut alors être dépassée par un effet d’entrainement qui s’apparente à un comportement visqueux du fluide électronique. Ce phénomène vient tout juste d’être mis en évidence dans le graphène, à l’université de Manchester.
Des chercheurs l’ont désormais observé dans un circuit quantique où l’amplitude du dépassement de la limite standard de conductance, ainsi que la gamme de température où il se produit, peuvent être contrôlés in situ. Pour ce faire, les physiciens du Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N, CNRS/UPSud/Univ. Paris Diderot), en collaboration avec des théoriciens des universités College-Dublin, Paris-Sud et Paris Diderot, exploitent les corrélations électroniques qui se développent au voisinage d’une transition de phase quantique se produisant à quelques millièmes de degrés au-dessus du zéro absolu.
Au cœur du circuit quantique se trouve un îlot métallique réglé pour que l’augmentation de sa charge par un électron ne change pas son énergie. C’est fondamental, car ainsi le système ne gèlera dans aucun de ces deux états (avec une charge supplémentaire ou sans charge supplémentaire), même aux plus basses températures. Tandis que dans le cas contraire, le système se figerait dans l’état de plus basse énergie et l’on perdrait ce degré de liberté que constitue l’ajout d’une charge. Or, c’est le couplage de cette charge avec les électrons entrant et sortant de l’îlot par trois petits contacts individuellement ajustables qui génère de fortes corrélations entre ces électrons et l’apparition d’une transition de phase quantique. L’existence même et l’amplitude du dépassement de la limite standard de la conductance est alors contrôlé par le degré de symétrie entre les différents contacts.
Ce travail publié dans la revue Science ouvre un chemin de recherche pour l’électronique basse puissance. Le dispositif implémenté n’a pas d’applications mais constitue un système d’étude modèle. Plus généralement, ce travail s’inscrit dans l’exploration d’une large variété de phénomènes non-conventionnels associés aux transitions de phase quantiques.
En savoir plus
Tunable quantum criticality and super-ballistic transport in a “charge” Kondo circuit
Z. Iftikhar, A. Anthore, A. K. Mitchell, F. D. Parmentier, U. Gennser, A. Ouerghi, A. Cavanna, C. Mora, P. Simon, F. Pierre
Science (2018), doi:10.1126/science.aan5592
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Informations complémentaires
Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N, CNRS/Université Paris-Sud/ Univ. Paris Diderot)
Laboratoire Pierre Aigrain (LPA, CNRS/ENS Paris/Univ. Paris Diderot/Sorbonne Université)
Laboratoire de physique des solides (LPS, CNRS/Univ. Paris-Sud)
Université College Dublin (Irlande)