Sculpter l’intrication spatiale des photons sur puce
En combinant deux ingrédients fondamentaux de la photonique - la génération paramétrique et les marches quantiques -, des scientifiques ont mis au point une source compacte et reconfigurable de photons intriqués spatialement, ouvrant de nouvelles perspectives pour la réalisation de protocoles de calcul ou de simulation quantique de façon intégrée.
Références
Tunable Generation of Spatial Entanglement in Nonlinear Waveguide Arrays, A. Raymond, A. Zecchetto, J. Palomo, M. Morassi, A.Lemaître, F. Raineri, M. Amanti, S. Ducci, F. Baboux, Phys. Rev. Lett., 133, 233602 – Publié le 2 décembre 2024
Doi :10.1103/PhysRevLett.133.233602
Archives ouvertes : arXiv
Les états quantiques intriqués sont des configurations quantiques sans équivalent classique, dans lesquelles coexistent de façon non contradictoire plusieurs états physiques différents d’un même système. Ils jouent un rôle essentiel dans les technologies de l’information quantique pour augmenter la puissance de calcul, la sécurité des communications et la sensibilité des capteurs. La situation la plus simple est réalisée quand un degré de liberté peut prendre deux valeurs mesurables distinctes, comme c’est le cas pour la polarisation des photons par exemple, et l’intrication correspond alors à fabriquer une superposition quantique des deux états correspondant aux mesures possibles. Si l’étude de ces systèmes à deux états a historiquement permis des avancées majeures dans ce domaine, l’intérêt des scientifiques se tourne aujourd’hui de plus en plus vers la réalisation d’états intriqués dans des degrés de liberté de haute dimension, pouvant prendre un grand nombre de valeurs distinctes, ce qui permettrait d’augmenter significativement la densité d'encodage de l'information et la flexibilité des protocoles.
Parmi les différentes voies explorées, le degré de liberté spatial des photons est particulièrement adapté à une implémentation dans des circuits photoniques miniaturisés : l'information est alors encodée dans le chemin emprunté par les photons dans le circuit. Dans une approche traditionnelle, les états intriqués spatialement sont créés et manipulés de manière séquentielle, à l’aide d’une suite d'éléments optiques discrets : émetteurs de photons uniques ou sources non-linéaires, suivies d’un ensemble de séparatrices et modulateurs de phase par exemple. Une alternative prometteuse consiste à utiliser au contraire des systèmes de guides d'onde non-linéaires couplés, où les photons peuvent être générés et interférer de façon continue tout au long du dispositif, offrant ainsi de nouvelles possibilités d’interaction tout en minimisant l'empreinte spatiale sur la puce. Des chercheurs et chercheuses ont exploité ce concept en réalisant une source compacte et polyvalente de paires de photons intriqués spatialement, fonctionnant à température ambiante et aux longueurs d'onde des télécommunications.
Ces recherches ont été menées dans les laboratoires suivants
- Matériaux et Phénomènes Quantiques (MPQ, CNRS / Université Paris Cité)
- Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N, CNRS / Université Paris-Sud)
- Institut de physique de Nice (INPHYNI, CNRS / Université Côte d’Azur)
- Laboratoire de Physique de l’ENS de Paris (LPENS, CNRS / ENS-PSL / Sorbonne Université / Université Paris Cité)
Le dispositif est basé sur un réseau de guides d'onde non-linéaires en matériau semi-conducteur AlGaAs (Fig. 1a,b). L'injection d'un faisceau laser de pompe (longueur d'onde 775 nm, représenté en rouge sur la Fig. 1a) génère, par fluorescence paramétrique, des paires de photons (nommés signal et idler, et représentés en bleu sur la figure) aux longueurs d'onde « télécom » (1550 nm). Les guides d'onde sont suffisamment rapprochés pour que ces photons puissent sauter aléatoirement d'un guide à l'autre par effet tunnel au cours de leur propagation. Ils réalisent ainsi des marches quantiques aléatoires qui forment ensemble un état intriqué spatialement, c'est-à-dire présentant de fortes corrélations entre les chemins pris par chacun des photons, corrélations qui ne pourraient pas être atteintes avec des états classiques de lumière.
Contrairement aux études expérimentales précédentes sur les marches quantiques aléatoires, les "marcheurs" sont ici créés directement à l'intérieur du dispositif, ce qui permet d'atteindre des niveaux d'intrication spatiale significativement plus élevés que dans des dispositifs passifs, grâce à un phénomène d'interférence entre les marches quantiques initialisées à toutes les positions possibles. Un autre atout du dispositif expérimental utilisé est qu'il peut être reconfiguré de façon simple. En modifiant en effet le profil spatial du laser de pompe, on contrôle l'interférence entre l'état quantique généré dans chaque guide d'onde, ce qui permet de reconfigurer à la demande l'état quantique de sortie, pour générer par exemple des états spatialement corrélés (Fig. 1c) ou anticorrélés (Fig. 1d). Une large zoologie d'états quantiques peut ainsi être produite à partir de ressources classiques simples.
Cette démonstration met en lumière le potentiel des systèmes à couplage continu comme alternative prometteuse aux circuits quantiques discrets multi-composants pour l'exploitation de l’intrication en haute dimension des photons. Elle ouvre également la voie à la réalisation d'expériences de simulation quantique sur puce. En effet, en modifiant les constantes de couplage et de propagation des guides d'ondes, il est possible d'implémenter différents types de Hamiltoniens et d'étudier sur puce des effets fondamentaux difficiles à observer dans les systèmes de matière condensée, comme par exemple la protection topologique en régime quantique ou la localisation d'Anderson d'états à plusieurs particules. Ces résultats sont publiés dans les Physical Review Letters.
