S'évaporer pour avancer

Résultat scientifique

Des chercheurs ont observé l'autopropulsion d'une goutte d'éthanol déposée sur de l'huile de silicone et ils ont expliqué les mécanismes de ce mouvement spontané. Les différences de température engendrées à l'interface entre la goutte et l'huile par l'évaporation de l'éthanol sont à l'origine de ce moteur miniature auto-entretenu.

Une goutte millimétrique d’un liquide volatile comme l’éthanol s’évapore en quelques minutes sur un substrat solide. Mais si cette goutte est posée sur un substrat liquide comme de l'huile silicone, cette évaporation s’accompagne d’un déplacement inattendu de la goutte. Ce phénomène d’autopropulsion a été mis en évidence et expliqué par une équipe de chercheurs de l'Institut de Physique de Rennes (IPR, CNRS/ Univ. Rennes 1) et ces résultats sont publiés dans Physical Review Letters.

La goutte qui s’évapore refroidit, ce qui produit des gradients de température et donc des gradients de tension de surface. La différence de tension de surface entre deux points de la goutte engendre alors une force mécanique allant du point le plus chaud (tension de surface plus faible) vers le point le plus froid (tension de surface plus grande). Il s'agit de l'effet Marangoni, qui découle de la tendance des liquides en contact à minimiser leur tension de surface. Au niveau de l'interface, cela induit des écoulements entre la goutte et l'huile. On s’attendrait à ce que l'effet soit symétrique par rapport à un axe vertical passant par le centre de la goutte, gardant ainsi la goutte à sa position initiale. C'est le cas, mais uniquement durant une phase transitoire après laquelle les couplages thermo-capillaires finissent par rompre cette symétrie.

En couplant des mesures par caméra thermique et par suivi de particules, les chercheurs ont montré qu’un secteur de la goutte devient plus froid et que les circulations dans la goutte et dans l’huile se dissymétrisent. Il en résulte un déplacement de la goutte, auto-entretenu par un écoulement sous la goutte d’huile plus chaude, allant vers l’arrière de celle-ci. Par ce mécanisme, la goutte avance dans la direction de la zone la plus chaude. Cet effet Marangoni, dû à des effets thermiques, est à l’opposé de ce qui est obtenu pour des solides se déplaçant à la surface d’un liquide par effet Marangoni « solutal », c'est-à-dire dû à des effets de variations de concentrations d’espèces chimiques.

En parallèle, les chercheurs ont développé un modèle original intégrant la thermodynamique de l’évaporation et l’hydrodynamique à la surface de la goutte et autour d’elle. Les paramètres influant sur la vitesse ont été identifiés, notamment la viscosité de l’huile grâce à laquelle l'effet Marangoni s'exerce efficacement. De même, les chercheurs ont montré que le type de trajectoire de la goutte (linéaire ou plus erratique) dépend des propriétés de mouillage de l’huile sur l’éthanol (figure).

Ces travaux donnent ainsi des clés pour comprendre les spécificités de l’auto-propulsion par un effet Marangoni "thermique" par rapport à un effet Marangoni "solutal". D’autre part, ils mettent en avant les particularités liées au déplacement confiné à une interface entre deux phases avec des phénomènes de transports différents dans chaque phase, l’évaporation d’un côté et la dissipation visqueuse de l’autre dans le cas de cette étude.

Figure
Légende : Une goutte d'alcool volatile déposée sur un liquide non miscible se propulse spontanément à sa surface. La présence d'un film liquide recouvrant la goutte est associée à une trajectoire plus régulière (droite) que lorsque celui-ci est absent (gauche).

 

Référence

Self-Propulsion of a Volatile Drop on the Surface of an Immiscible Liquid Bath.
Benjamin Reichert, Jean-Benoît Le Cam, Arnaud Saint-Jalmes, and Giuseppe Pucci.
Phys. Rev. Lett., paru le 28 septembre 2021.

DOI : 10.1103/PhysRevLett.127.144501
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Contact

Benjamin Reichert
Post-doctorant, Université de Liège, anciennement post-doctorant à l’IPR
Communication CNRS Physique