Téléportation d’un état quantique au travers d’un ilot métallique
Des physiciennes et des physiciens ont pour la première fois observé la transmission de l'état quantique d’électrons au travers d’un îlot métallique de taille micrométrique. Cela a été rendu possible grâce à l’interaction coulombienne, par un mécanisme capable de geler l’ensemble des charges de l’îlot à basse température.
Les principes de base de la physique quantique interdisent de copier l’état quantique d’un système sur un autre. Il est en revanche possible de transférer l’état quantique d’un système à un autre. C’est ce transfert d’information (et non de matière) qui est dénommé téléportation quantique. Jusqu’à présent, les physiciens avaient réussi à effectuer cette opération avec comme système quantique un photon, le spin d’un atome ou encore le pseudo-spin décrivant un bit quantique supraconducteur. Pour cela, ils ont chaque fois utilisé le protocole dit « standard » reposant sur l’utilisation d’une intrication quantique entre deux particules. Pour la première fois, des physiciennes et des physiciens du Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N, CNRS/Univ. Paris Saclay) viennent de réaliser la téléportation d’un état quantique d’électrons se déplaçant dans un conducteur et sans avoir recours à une intrication préalable. Leurs travaux font l’objet d’une publication dans la revue Science.
Pour parvenir à ce résultat, les scientifiques ont utilisé un îlot métallique de quelques micromètres de diamètre placé à extrêmement basse température, 0.01 kelvin. À cette température, la charge électrique de l’îlot est gelée de sorte que quand un électron y pénètre, un électron doit simultanément en ressortir. Lorsqu’il n’y a qu’un seul chemin permettant aux électrons d’entrer et de sortir de l’îlot (un seul « canal » de conduction électronique) ce mécanisme se traduit par le transfert de l’état quantique des électrons entrant sur celui des électrons sortant. Avec des points d’injection et d’émission d’électrons éloignés, cela constitue une nouvelle forme de téléportation quantique. La connexion électrique à l’îlot se fait au travers d’un matériau semiconducteur (AlGaAs, zones sombres sur figure) de suffisamment faible densité électronique pour pouvoir contrôler le contact par effet de champ avec des grilles (colorisées en bleu sur la figure). En connectant ainsi un seul canal électronique à cet îlot, l’état quantique des électrons entrants est imprimé sur l’état quantique des électrons sortants. L'expérience est menée dans le régime Hall quantique, où un grand champ magnétique perpendiculaire rompt la symétrie d'inversion temporelle de sorte que les points d'injection et d'émission sont séparés dans l'espace. En conséquence, la transmission de l'état quantique des électrons est non locale (flèche rouge sur figure), médiée par les plasmons de surface de l'îlot. Sans ce mécanisme, il n’aurait pas été possible de propager quantiquement les électrons à travers l’îlot. En effet, leur durée de vie quantique n’est au mieux que de 20 ns alors qu’il faut environ 60 µS, 3000 fois plus longtemps, pour qu’un électron puisse le traverser. La très bonne fidélité de cette téléportation quantique, parfaite à la résolution expérimentale proche de 1 %, a pu être démontrée en mesurant l’amplitude d’interférences quantiques entre deux chemins impliquant, pour l’un, les électrons originaux et, pour l’autre, les électrons sur lequel l’état quantique original a été transmis.
Un tel mécanisme de téléportation constitue un élément clé dans le but d’utiliser les électrons en propagation comme des plates-formes pour la manipulation et le transfert d'informations quantiques.
Références
Transmitting the quantum state of electrons across a metallic island with Coulomb interaction.
H. Duprez, E. Sivre, A. Anthore, A. Aassime, A. Cavanna, U. Gennser et F. Pierre. Science, le 6 décembre 2019, Vol. 366, Issue 6470, pp. 1243-1247.
DOI: 10.1126/science.aaw7856
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