Dépôt d'une couche d'oxyde de vanadium sur un support alumine. Photographie prise au microscope électronique à balayage.
Dépôt d'une couche d'oxyde de vanadium sur un support alumine. Photographie prise au microscope électronique à balayage. © Didier COT/Georges NABIAS/CNRS Images

Transition métal/isolant contrôlée par la lumière

Résultat scientifique

Des chercheurs et chercheuses montrent que la transition de l’oxyde de vanadium de sa forme cristalline isolante vers sa forme conductrice peut être pilotée de façon précise et efficace par une double impulsion de lumière, la seconde exploitant l’état hors équilibre très particulier créé par la première.

La plupart des applications de stockage de données et d'énergie que nous utilisons aujourd'hui reposent sur des solides pouvant être basculés entre deux phases stables. Par exemple, dans les mémoires magnétiques, les informations sont stockées en manipulant l'orientation des domaines magnétiques dans le solide pour représenter soit un "0", soit un "1" en code binaire. D'autres technologies exploitent des matériaux pouvant passer entre deux formes cristallines distinctes, comme les états cristallin ou amorphe. Ces transformations sont appelées transitions de phase et peuvent être induites, par exemple, par le chauffage ou une pression exercée sur le matériau.
L'un des grands objectifs de la chimie et de la physique aujourd'hui est d'identifier de nouvelles façons de réaliser à la demande ces transitions de phase. Une solution prometteuse consiste à utiliser la lumière pour déclencher le changement structural. Ces transitions induites par la lumière ont le potentiel de changer les solides plus rapidement et plus efficacement que ce que permettent les déclenchements induits par chauffage ou modification de pression.
Au niveau atomique, on suppose que les transitions de phase ultra-rapides se produisent de manière homogène et cohérente, c’est-à-dire que la lumière provoque un mouvement coordonné des atomes dans une grande région de l'échantillon. En s'appuyant sur cette théorie, des expériences récentes ont démontré que le changement de phase peut être contrôlé de façon cohérente par une séquence d'impulsions laser : une impulsion « secoue » les atomes en leur fournissant de l’énergie tandis que la seconde impulsion ré-excite le système pour tirer parti de l’état hors équilibre induit.     
Cependant, de nombreux matériaux ne possèdent pas les caractéristiques physiques nécessaires pour être entraînés de manière cohérente par la lumière, et donc cette stratégie potentiellement efficace ne fonctionne pas toujours. Dans un travail récent, des chercheurs de l’Institut de physique de Rennes (IPR, CNRS / Université de Rennes) au sein d’une collaboration internationale ont découvert une méthode de contrôle optique alternative qui pourrait s'appliquer à tous les matériaux. Dans ces expériences, les chercheurs et chercheuses se sont concentrés sur le cas modèle du VO2 (le dioxyde de vanadium), un matériau subissant une transformation de phase solide-solide entre une phase isolante et une phase métallique.
En utilisant des expériences multi-excitations ultra-rapides, une fenêtre de contrôle optique a été trouvée qui permet d’améliorer l'efficacité de la transition jusqu'à 6 %. Dans cette fenêtre temporelle, diviser l'énergie de la lumière en deux impulsions temporellement séparées est préférable à l'utilisation d'une seule impulsion lumineuse puissante. Cependant, les chercheurs ont observé que la méthode de contrôle précédemment décrite n'est pas possible, mais qu’il existe malgré tout un autre moyen de contrôler le matériau : en utilisant des expériences de rayons X ultra-rapides complémentaires, les chercheurs ont identifié que la première impulsion laser sur les atomes du système est suffisamment énergétique pour générer un désordre structurel local. Les données suggèrent que la première impulsion induit efficacement une multitude de défauts sous la forme de distorsions appelées polarons. Si de tels polarons sont excités correctement, ils peuvent coopérer pour faciliter la transformation, la rendant ainsi plus efficace.

Ainsi ce travail montre que des défauts structurels peuvent être utilisés comme un outil pour rendre plus efficace une transition de phase, transformant ainsi une imperfection en une vertu. Il suggère aussi que les fluctuations structurelles sont plus importantes que le mouvement cohérent dans la transition de phase de VO2. Ces résultats ouvrent une voie prometteuse pour la manipulation optique des solides puisqu’il est en principe possible d'induire des états désordonnés dans n'importe quel solide, y compris ceux utilisés dans les technologies de stockage d'énergie et de données. Ils sont publiés dans la revue Nature Physics.

Schéma illustratif
Gauche : Tout d'abord, la phase monoclinique (M1, représentée en haut à gauche. Noter que les atomes d’un même plan horizontal sont en fait légèrement décalés par rapport au dit plan) est excitée avec une impulsion préparatoire faible qui est insuffisante pour surmonter la barrière énergétique qui sépare M1 de la phase rutile (R, représentée en haut à droite). Tous les atomes commencent alors à vibrer de façon cohérente, puis la structure se désordonne progressivement en raison de la formation de "polarons”, qui  réduisent la barrière énergétique pour opérer la transition (« barrier reduction »).
Droite : Si l’état transitoire désordonné est excité avec une deuxième impulsion, ce « coup de pouce » rend alors la transition vers l’état rutile substantiellement plus facile.

 

Références

Allan S. Johnson et al., Enhancing the efficiency of light-induced phase transitions through transient local distortions. Nature Physics. 20, 903–904 (2024) – Publié le 17 mai 2024.
DOI :10.1038/s41567-024-02474-4
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Ernest Pastor
Chimie Physique
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