Un courant supraconducteur magnétisé et supercohérent
Le courant passant par une jonction entre deux matériaux supraconducteurs, appelée jonction Josephson, a à la fois des propriétés quantiques et des propriétés supraconductrices. Les chercheurs ont créé un dispositif pour lequel le courant est magnétisé et la longueur caractéristique de la cohérence quantique est décuplée, tout en ayant un effet supraconducteur à plus haute température.
L'effet Josephson résulte du couplage de deux supraconducteurs à travers un matériau ordinaire, métallique ou isolant, laissant passer un courant électrique sans résistance (supracourant), et donc, sans dissipation d’énergie. Il se caractérise aussi par des phénomènes quantiques tels que la modulation du supracourant sous champ magnétique et des résonances sous rayonnement électromagnétique. Ces propriétés uniques sont la pierre angulaire de l’électronique supraconductrice. Pendant des années, des chercheurs ont étudié le couplage Josephson à travers des matériaux ferromagnétiques car ceux-ci ajoutent une propriété intéressante : les spins des électrons qui conduisent le courant sont orientés – on dit qu'ils sont polarisés en spin. Cette polarisation constitue un vecteur d’information qui est exploité dans un autre champ, celui de la spintronique. L’objectif ultime est ainsi de développer une « spintronique supraconductrice » dans laquelle l’information portée par le spin serait protégée par la cohérence quantique.
Jusqu'à présent, les réalisations expérimentales ont été circonscrites aux très basses températures (quelques K) pour les effets supraconducteurs, et aux distances de l'ordre de 10 à 100 nanomètres pour les effets Josephson, les phénomènes d’interférence liés à la cohérence quantique restant toutefois encore insaisissables. En utilisant un matériau ferromagnétique "à moitié métallique" (demimétal), c'est-à-dire conducteur pour une polarisation de spin et isolant pour l'autre, ces limites ont été levées et les physiciens viennent de démontrer un effet Josephson à haute température (quelques dizaines de K) et sur de très longues distances (de l'ordre du micromètre). Ces travaux sont le résultat d’une collaboration entre l’Unité mixte de physique (UMPhy, CNRS/Thales) à Palaiseau, le Laboratoire de physique et études des matériaux (LPEM, CNRS/ESPCI) à Paris, le Laboratoire ondes et matière d’Aquitaine (LOMA, CNRS/Univ. de Bordeaux) et l’Université Complutense de Madrid. Ils sont publiés dans la revue Nature Materials.
A l’aide de techniques de pulvérisation cathodique et de lithographie, les chercheurs ont fabriqué des jonctions Josephson planes à partir d'oxydes supraconducteurs à haute température de type YBCO (YBa2Cu3O7) et d'un demimétal, le LSMO (La0.7Sr0.3MnO3) (figure). Ils ont ainsi étudié le couplage entre deux électrodes en YBCO séparées par un canal de LSMO de taille micrométrique. Par des mesures de courant sous champ magnétique, ils ont démontré la circulation d’un supracourant, attesté par sa modulation par le champ magnétique et par des phénomènes de résonance sous rayonnement micro-ondes qui prouvent l'existence d'une cohérence de phase à l'échelle macroscopique de la longueur du canal. Ces mesures présentent par ailleurs des caractéristiques non-conventionnelles qui étaient attendues dans le cadre de la supraconductivité dite « triplet » à l'œuvre ici, ce type de supraconductivité outrepassant l’antagonisme naturel entre ferromagnétisme, pour lequel il y a orientation des spins, et supraconductivité conventionnelle, pour laquelle les spins sont appariés en sens opposés.
Référence
Extremely long range, high-temperature Josephson coupling across a half-metallic ferromagnet.
D. Sanchez-Manzano, S. Mesoraca, F. Cuellar, M. Cabero, V. Rouco, G. Orfila, X. Palermo, A. Balan, L. Marcano, A. Sander, M. Rocci, J. Garcia-Barriocanal, F. Gallego, J. Tornos, A. Rivera, F. Mompean, M. Garcia-Hernandez, J. M. Gonzalez-Calbet, C. Leon, S. Valencia, C. Feuillet-Palma, N. Bergeal, A.I. Buzdin, J. Lesueur, J. E. Villegas, J. Santamaria. Nature Materials, paru le 03 décembre 2021.
DOI: 10.1038/s41563-021-01162-5
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