Un nouveau pas vers la compréhension de la supraconductivité à haute température dans les oxydes de cuivre
En étudiant des cuprates supraconducteurs à haute température soumis à un champ magnétique intense, des physiciens viennent de mettre en évidence un nouvel effet du dopage sur la densité de porteurs de charge dans l’état normal. Ce phénomène pourrait être l’une des clés de l’apparition de la supraconductivité à haute température.
Découverte il y a trente ans, la supraconductivité à haute température, c’est-à-dire à des températures supérieures à la température de l’azote liquide (77 K, soit -196 °C), reste largement incomprise. Un élément clef dans l’apparition de ce phénomène est l’évolution de la structure électronique en fonction de la température et du taux de dopage des matériaux en question. Jusqu’à présent, l’apparition de la supraconductivité interdisait aux expérimentateurs toute investigation dans ce domaine en masquant les détails des propriétés des électrons. Grâce à un nouveau dispositif expérimental produisant un champ magnétique de 90 teslas (bien plus important que lors des études précédentes), des physiciens du LNCMI (CNRS/INSA Toulouse/Univ. Toulouse 3/Univ. Grenoble Alpes) et de l’Université de Sherbrooke (Canada) ont supprimé la supraconductivité à basse température dans le cuprate supraconducteur YBaCuO et ont ainsi mesuré l’évolution du nombre de porteurs de charge en fonction de la température et du taux de dopage. Ils ont mis en évidence un changement radical de la densité électronique associé à l’apparition d’un comportement appelé pseudogap. Ce nouveau fait majeur sur le pseudogap laisse penser qu’une compréhension microscopique de ce phénomène pourrait permettre d’élucider le comportement énigmatique des électrons dans les cuprates supraconducteurs. Ce travail est publié dans la revue Nature.
Les physiciens ont mesuré la dépendance en température de l’effet Hall jusqu’à 90 teslas dans plusieurs échantillons de YBaCuO, couvrant une gamme de dopage entre 0.16 et 0.205. Ces estimations consistent à mesurer une tension transverse à un courant électrique en présence d’un champ magnétique. Près du zéro absolu, elles permettent de déduire directement le nombre de porteurs de charge. Ces mesures représentent un véritable tour de force car la tension Hall, de l’ordre de quelques microvolts, est très difficile à mesurer dans ces conditions extrêmes de champ magnétique. Le LNCMI-Toulouse est un laboratoire unique dans lequel de telles mesures peuvent être réalisées. Celles ci ont permis de dissocier l’impact relatif de divers phénomènes en fonction du taux de dopage, dont les ondes de densité de charge et le « pseudogap ». Ce dernier phénomène constitue une énigme depuis plus de 20 ans et pourrait bien être à l’origine de la supraconductivité à haute température. Cette étude combinée à des résultats antérieurs montre que dans la gamme de dopage entre 0.08 et 0.16, l’effet Hall est négatif, ce qui est une signature directe des ondes de charge. En revanche, pour des dopages supérieurs à 0.16, c’est la phase pseudogap qui domine et il est possible de l’étudier directement. En dessous de 0.19 – taux de dopage précis où la phase pseudogap apparait – les chercheurs ont montré que le nombre de porteurs diminue de manière très importante, ce qui se traduit expérimentalement par une augmentation d’un facteur 6 de la résistance de Hall.
En savoir plus
Change of carrier density at the pseudogap critical point of a cuprate superconductor
S. Badoux, W. Tabis, F. Laliberté, G. Grissonnanche, B. Vignolle, D. Vignolles, J. Béard, D.-A. Bonn,
W.-N. Hardy, R. Liang, N. Doiron-Leyraud, L. Taillefer et C. Proust
Nature, le 22 février 2016.
Informations complémentaires
Laboratoire National des Champs Magnétiques Intenses (LNCMI)