Un système magnétique où ordre et désordre se superposent

Résultat scientifique

Des physiciens ont pour la première fois réalisé un système magnétique où l’ordre et le désordre sont superposés au point que chaque aimant élémentaire se trouve à la fois dans la phase ordonnée et dans la phase désordonnée.

Dans de rares situations, la matière peut se trouver dans un état à la fois ordonné comme un solide cristallin et désordonné comme un verre. C’est par exemple le cas de l’état supersolide où coexistent un solide et un superfluide. Toutefois, malgré la nature quantique de cet état, ordre et désordre ne sont pas superposés. Comme dans un alliage, ils ne font que coexister, chaque atome contribuant soit à l’une soit à l’autre des phases. Pour la première fois, des physiciens – expérimentateurs et théoriciens – provenant de deux laboratoires français, l’Institut Néel (CNRS/Grenoble INP/Univ. Grenoble Alpes) et l’Institut Jean Lamour (CNRS/Univ. Lorraine), et d’une équipe italienne viennent de réaliser un état magnétique où ordre et désordre se superposent intimement, de sorte que chaque nano-aimant élémentaire contribue aux deux phases. Il s’agit d’un réseau bidimensionnel d’îlots nanométriques de gadolinium et de cobalt de taille synthétisés et organisés par lithographie selon la géométrie dite de Kagomé. La comparaison des mesures réalisées au synchrotron Elettra de Trieste (Italie) à des simulations numériques a permis aux chercheurs de mettre en évidence ce nouvel état de la matière dans lequel l’ordre et le désordre coexistent. Ce travail est publié dans la revue Nature Communications.

Pour réaliser ce système, les physiciens ont tout d’abord déposé sur un substrat de silicium une mince couche de tantale. Ils ont ensuite réalisé par lithographie des îlots de gadolinium et de cobalt puis recouvert le tout d’une fiche couche de ruthénium. Les 342 îlots ainsi déposés, de formes elliptiques et de dimensions caractéristiques 500x100x10 nm3, sont organisés selon une géométrie dite de Kagomé, c’est-à-dire un réseau de triangles connectés par leurs sommets. L’anisotropie de forme de ces îlots garanti que leur aimantation, nécessairement alignée selon le grand axe de l’ellipse, ne peut prendre que deux directions (‘up’ ou ‘down’) le long de cet axe. En outre, alors que l’interaction magnétique favorise l’orientation tête bêche de deux voisins, l’organisation en triangle assure qu’au moins deux des sommets pointent dans une même direction, et se trouvent donc dans une configuration défavorable. Le réseau est dit frustré.

Afin de « préparer » ces réseaux dans des configurations de spin représentatives de leur variété de basse énergie (voire de leur état fondamental), ces systèmes sont d’abord chauffés à une température suffisante pour faire disparaitre leur aimantation, puis refroidis afin de faire revenir le magnétisme dans une configuration d’énergie minimale et de geler cette configuration. Les configurations de spin obtenues sont alors imagées à l’aide d’un faisceau de rayons X absorbé différemment par les deux états magnétiques des îlots. Ceci permet de former une image magnétique du réseau considéré avec une résolution spatiale de l’ordre de 20 nanomètres en collectant les électrons secondaires émis lors de l’absorption dans la colonne d’un microscope électronique. Une analyse de Fourier de ces cartes magnétiques a alors permis aux chercheurs de mettre en évidence la coexistence des phases ordonnées et désordonnées. La phase ordonnée apparaît sous la forme de pics de Bragg magnétiques alors que la phase désordonnée apparaît comme un signal diffus mais structuré, c’est-à- dire que ce désordre n’est pas l’analogue d’un gaz, mais plutôt celui d’un liquide. Ces signatures dans l’espace réciproque ont été identifiées par l’étude théorique d’un modèle de spins et des simulations numériques de type Monte- Carlo. Les résultats expérimentaux correspondent à ces prédictions théoriques, ce qui permet d’affirmer que ce qui a été observé est bien un nouvel état de la matière, magnétique, et qu’il correspond à la fragmentation du degré de liberté, c’est-à-dire au fait que chaque aimant appartient à la fois à la phase ordonnée et à la phase désordonnée. La compréhension des ingrédients de base nécessaires à l’apparition de ce phénomène a ensuite permis aux chercheurs de le reproduire dans d’autres systèmes, à base de Permalloy, un alliage de fer et de nickel, qu’ils ont cartographié par imagerie à force magnétique.

 

Image retirée.
Analyses dans l’espace de Fourrier de simulations Monte-Carlo et d’une image de configurations magnétiques. Les cercles rouges et noirs entourent des pics de Bragg associés à un ordre à grande distance et au processus de fragmentation du magnétisme.

 

En savoir plus

Fragmentation of magnetism in artificial kagome dipolar spin ice 
B. Canals, I.-A. Chioar, V.-D. Nguyen, M. Hehn, D. Lacour, F. Montaigne, A. Locatelli, T. Onur Mente, B. Santos Burgos et N. Rougemaille 
Nature Communications, le 13 mai 2016

 

Informations complémentaires

Institut Néel (NEEL) 
Institut Jean Lamour (IJL)

Contact

Communication CNRS Physique