Une expérience d'atomes ultra-froids en chute libre dans un laboratoire

Résultat scientifique

Les physiciens ont développé un nouvel outil d'étude des effets de la force de gravitation en créant par piégeage optique des condensats d'atomes ultra-froids synchronisés avec le mouvement d'un "ascenseur d'Einstein". Celui-ci simule en laboratoire une chute libre de 400 millisecondes répétée toutes les 13 secondes.

Les chercheurs cherchent à connaitre les effets de la gravité dans de nombreux domaines de la physique, tout particulièrement en physique fondamentale où des précisions ultimes sont nécessaires comme par exemple pour les mesures de temps ou pour les tests fondamentaux de la relativité générale. Ils cherchent pour cela à réaliser des expériences en impesanteur, c’est-à-dire dans un référentiel en mouvement sous l'effet de la seule force de l'attraction gravitationnelle, autrement dit en chute libre. Les forces d'inertie et de gravitation se compensent alors, il en résulte une gravité ressentie quasi-nulle. C'est le cas des expériences se déroulant avec des fusées sondes, lors de vols paraboliques dans l’airbus 0-g, ou encore en orbite autour de la Terre sur la station spatiale internationale ISS. Sur Terre, on accède à l'impesanteur avec des tours de chute libre, qui existent à Brême ou à Hanovre, dans lesquelles on lâche les expériences vers le sol, comme dans un ascenseur dont le câble serait coupé.

Pour atteindre les précisions ultimes recherchées, on utilise des capteurs quantiques extrêmement sensibles aux forces d'inertie et de gravitation dans lesquels il est indispensable d’utiliser des nuages d'atomes à des températures inférieures à quelques microkelvins, ultimement refroidis sous forme de condensats de Bose-Einstein. On crée ainsi avec ces atomes des faisceaux d’ondes de matière que l’on va, comme pour les faisceaux lumineux, séparer en deux parties puis recombiner pour former un interféromètre. Le parcours des ondes de matière, et donc le déphasage dans l’interféromètre, dépend des forces exercées sur les atomes et en particulier des forces d'inertie et de gravitation. Ces condensats de Bose-Einstein ont déjà été mis en œuvre dans une fusée sonde et sur l'ISS afin de tester les effets de la gravité en physique fondamentale. Ils étaient obtenus grâce à des puces à atomes pour lesquelles le piégeage et refroidissement est assuré à l'aide de champs magnétiques. Une autre méthode pour produire ces condensats, alors dits « tout optique », utilise exclusivement des champs lumineux pour le piégeage et le refroidissement. Elle a l'avantage de rassembler des atomes dans des configurations insensibles aux perturbations magnétiques et loin de toute surface qui pourrait perturber la mesure.

Des physiciens du Laboratoire photonique, numérique et nanosciences (LP2N, CNRS/IOGS/Univ. Bordeaux) et du laboratoire Systèmes de référence temps-espace (SYRTE, CNRS/Observatoire de Paris/Sorbonne Univ.), soutenus par le CNES et l’ESA, ont réussi à produire de tels condensats de Bose-Einstein tout optique en impesanteur dans une simple salle de laboratoire. Pour cela, ils ont optimisé les outils de refroidissement en les synchronisant avec le mouvement d'une sorte d'ascenseur qui effectue des cycles de montée et de descente avec une période de chute libre. Ces résultats sont publiés dans la revue Physical Review Letters. L'accès en laboratoire d'un tel dispositif d'impesanteur facilite grandement le contrôle de l'environnement expérimental tel qu'il est exigé par les mesures de grande précision. 

L‘ascenseur, dénommé "ascenseur d'Einstein", d'une hauteur d'environ 3 mètres a été développé par la société Symétrie installée à Nîmes, créant des conditions d'impesanteur pendant 400 millisecondes. Les étapes du refroidissement optique des atomes ont été optimisées pour obtenir en une seconde un condensat prêt à être utilisé pendant la phase d’impesanteur de cet ascenseur. Ce condensat contient 10 000 atomes de rubidium (87Rb) dans un nuage dont la température est de l'ordre de 100 nanokelvins. L'étape suivante est l'obtention d'un interféromètre atomique. L'expérience, qui peut être reproduite toutes les 13 secondes, permettra aux chercheurs d’accroître la sensibilité des mesures en accumulant plus de cent heures d’observation par an. Si l'impesanteur sur Terre ne pourra jamais concurrencer celle de l'espace, la facilité d'accès et les cycles répétés qu'autorise cet ascenseur d'Einstein en font néanmoins un nouvel outil pour préparer les futures campagnes spatiales et démontrer expérimentalement l’augmentation de la sensibilité attendue lors de telles missions.

 

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@ LP2N (CNRS/IOGS/Univ. Bordeaux)

À droite, photographie du dispositif expérimental. L'ascenseur se trouve entre les deux piliers bleus, l'expérience étant en position basse. Le cylindre à gauche de l'ascenseur est un réservoir d’air comprimé permettant de guider et propulser l’ascenseur. Les baies au premier plan contiennent les différents lasers et dispositifs de contrôle du nuage d'atomes. 

À gauche, image d'un nuage d'atome obtenu dans l'ascenseur. En haut, avant condensation, en bas après condensation lors de la phase de chute libre, où le nuage reste immobile et de petite taille (environ 100 µm) pendant toute l’expérience.

 

Références

All-optical Bose-Einstein condensates in microgravity. G. Condon, M. Rabault, B. Barrett, L. Chichet, R. Arguel, H. Eneriz-Imaz, D. Naik, A. Bertoldi, B. Battelier, P. Bouyer et A. Landragin, Physical Review Letters, le 13 décembre 2020.
DOI: 10.1103/PhysRevLett.123.240402
Article disponible sur les bases d’archives ouvertes arXiv et HAL.

Contact

Philippe Bouyer
Directeur de recherche au CNRS, Laboratoire photonique, numérique, nanosciences
Communication CNRS Physique