Une mémoire ionique régie par les électrons
Des chercheurs et chercheuses ont montré que des réactions d’oxydoréduction à l’interface entre un métal et certains oxydes peuvent être extrêmement sensibles aux corrélations électroniques. Contrôlables via des impulsions électriques, ces effets ouvrent la voie à de nouvelles fonctionnalités pour l’électronique, notamment dans le domaine des mémoires.
Certains types de mémoires, et notamment les « memristors » utilisés pour imiter le fonctionnement des synapses (calcul neuromorphique), reposent sur des effets de permutation : leur résistance électrique varie entre plusieurs niveaux non volatiles, en fonction de l’historique d’impulsions électriques appliquées. Dans cette étude, les scientifiques ont démontré des effets de permutation résistive produits par un échange d'oxygène à travers l’interface entre deux matériaux : un métal ordinaire et un oxyde dont les électrons présentent des fortes corrélations qui donnent lieu à une transition métal-isolant pour une certaine température. De façon inattendue, ils ont trouvé une très forte interaction entre la transition métal-isolant et la réaction d’oxydoréduction qui produit les effets mémoire. Les électrons piègent littéralement les ions oxygène. Cette interaction modifie d’une part la transition électronique et d'autre part change radicalement le phénomène de permutation et sa dynamique. Ces travaux sont le résultat d’une collaboration entre l’Unité mixte de physique (UMPhy, CNRS / Thales / U. Paris-Saclay), l’Institut de physique et de chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS, CNRS / Université de Strasbourg), et l’Université Complutense de Madrid (Espagne). Ils ont été publiés dans la revue Advanced Science.
Pour démontrer ces effets, les scientifiques ont fabriqué des hétérostructures de NdNiO3 (oxyde à transition métal-isolant) et MoSi (alliage amorphe) et ont utilisé des techniques de lithographie pour créer des dispositifs permettant de mesurer la conductance électrique à travers leur interface. Ils ont mesuré cette conductance après avoir appliqué des impulsions de tension positifs/négatifs, en fonction desquelles le niveau de conductance varie entre des états non volatiles. Ce comportement est dû à une réaction électrochimique réversible qui mène à l’échange d’oxygène entre les deux matériaux. L’étude de ce phénomène au-dessus et en-dessous de la température de transition métal-isolant dans le NdNiO3 a permis de déceler le fort impact des corrélations électroniques dans l’échange d’oxygène. Des expériences de microscopie électronique (voir image) ont permis de déterminer l’état d’oxydation des interfaces et de relier celui-ci aux comportements observés.
Ces résultats soulèvent des questions très fondamentales sur l'interaction entre les corrélations électroniques, la création et la mobilité des lacunes d'oxygène dans les oxydes. Ils ouvrent aussi la voie à des fonctions neuromorphiques exploitant les effets des corrélations électroniques. En parvenant à contrôler la désexcitation de ces dispositifs, il serait ainsi possible de reproduire le temps de relaxation propre aux neurones, faisant un pas de plus vers l’imitation du fonctionnement du cerveau pour le calcul.
Références
An Oxygen Vacancy Memristor Ruled by Electron Correlations, V. Humbert, R. El Hage, G. Krieger, G. Sanchez‐Santolino, A. Sander, S. Collin, J. Trastoy, J. Briatico, J. Santamaria, D. Preziosi J. E. Villegas, Advanced Science, paru le 28/07/2022.
DOI : 10.1002/advs.202201753