Somme pondérée dans un dispositif composé de deux pistes (synapses) parallèles faites d’une multicouche magnétique © J. Grollier.

Vers des réseaux de neurones à base de skyrmions magnétiques

Résultat scientifique

Dans une étude récente, des chercheurs et chercheuses utilisent les propriétés de particules magnétiques pour réaliser une opération de base du calcul neuromorphique, un premier pas vers la réalisation de composants sobres en énergie pour le développement à grande échelle de l’IA.

Référence

Neuromorphic weighted sums with magnetic skyrmions, Tristan da Câmara Santa Clara Gomes, Yanis Sassi, Dédalo Sanz-Hernández, Sachin Krishnia, Sophie Collin, Marie-Blandine Martin, Pierre Seneor, Vincent Cros, Julie Grollier, Nicolas Reyren, Nature Electronics, publié le 6 janvier 2025.
Doi : 10.1038/s41928-024-01303-z
Archive ouverte : arXiv  

Afin de répondre à la croissance exponentielle des besoins du numérique, un des défis majeurs des années à venir est de développer des composants efficaces et de basse consommation. Cela est d’autant plus nécessaire que l'Intelligence Artificielle générative, grande consommatrice d’énergie notamment lors de la phase d’apprentissage, est en plein essor. Une voie prometteuse dans ce sens consisterait à utiliser les skyrmions magnétiques, des excitations magnétiques se comportant quasiment comme des particules et robustes vis-à-vis des perturbations extérieures. Les skyrmions sont générés facilement à température ambiante dans des films minces magnétiques ou des hétérostructures ayant une anisotropie magnétique optimisée. Des études expérimentales récentes ont montré que les skyrmions magnétiques ainsi générés peuvent être déplacés, annihilés et détectés électriquement à l'aide de l'effet Hall anormal ou de la magnétorésistance à effet tunnel. Par ailleurs, ils sont extrêmement petits (inférieurs au micron), stables à température ambiante, intrinsèquement non volatils tandis que leur manipulation requiert une énergie extrêmement faible. Ces caractéristiques en font naturellement des candidats de choix pour réaliser une nouvelle génération de composants informatiques susceptibles de réduire drastiquement la consommation en énergie à performances équivalentes.

Dans un article récent, des chercheurs et chercheuses du laboratoire Albert Fert, (CNRS / Thalès / Université Paris-Saclay) ont fait un pas dans cette direction en utilisant les propriétés des skyrmions magnétiques afin de réaliser une opération de base du calcul neuromorphique : la somme pondérée des signaux synaptiques. Ces skyrmions, qui agissent comme des analogues de neurotransmetteurs dans un réseau neuronal biologique, ont permis de reproduire cette opération de manière compacte et énergétiquement efficace, ce qui ouvre des perspectives pour des composants neuromorphiques plus proches de l'efficacité des systèmes biologiques.

Les skyrmions générés par des impulsions de courant sont détectés et sommés grâce à l'effet Hall anormal, permettant la réalisation d'une opération de somme pondérée en une seule mesure physique, sans perturber le mouvement des skyrmions. Les scientifiques ont validé cette somme pondérée dans un dispositif contenant deux pistes parallèles reliées par des électrodes de Hall transversales (cf. figure), où la tension de Hall reflète le nombre total de skyrmions présents dans les pistes. Cette approche rend efficace l'opération de base des réseaux neuronaux tout en offrant une précision énergétique accrue.

Le dispositif a été conçu de manière à minimiser les pertes de courant et les perturbations dans le mouvement des skyrmions, grâce à l'utilisation d'électrodes en tantale (Ta) très résistives, connectées uniquement aux bords des pistes magnétiques. En optimisant les paramètres de génération et de déplacement des skyrmions, plusieurs dizaines de skyrmions ont pu être injectés dans une piste de 6 µm de largeur, démontrant la possibilité de réaliser des opérations neuromorphiques sur des réseaux de plus grande taille. À terme, en modulant les poids synaptiques par des effets de champ électrostatique ou des méthodes non volatiles, cette approche pourrait mimer efficacement l’ensemble du fonctionnement neuromorphique observé dans les systèmes biologiques. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Electronics.

Somme pondérée dans un dispositif composé de deux pistes (synapses) parallèles faites d’une multicouche magnétique.
Figure : Somme pondérée dans un dispositif composé de deux pistes (synapses) parallèles faites d’une multicouche magnétique. (a-d), Images de microscopie Kerr du dispositif composé de deux pistes multicouches magnétiques parallèles de 6 µm de large reliées par une électrode de Hall Ta transversale de 6 µm de large. Après la saturation de l’aimantation de la piste (a), les skyrmions peuvent être nucléés sélectivement dans la piste 1 (b) et la piste 2 (c), avant d'être effacés par un champ ou un courant inverse (d). (e) Tension de Hall ∆V (en rouge) et la somme correspondante du nombre de skyrmions détectés dans les deux pistes ∑NSk, detec (en bleu) pour l'injection successive de skyrmions dans les pistes. 20 impulsions de nucléation sont successivement appliquées à chaque piste (indiquées par les zones verte et jaune pour les pistes 1 et 2 respectivement) en utilisant des impulsions de courant d'environ 116 GA/m2 et 50 ns, à µ0Hz = 20 mT. La courbe rouge fine représente les mesures électriques brutes après correction de la dérive, tandis que la courbe épaisse est la même après lissage © J. Grollier.

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Contact

Julie Grollier
Directrice de recherche CNRS, Laboratoire Albert Fert
Communication CNRS Physique