L’eau surfondue s’écoule deux fois plus vite à forte densité
Alors qu’habituellement une augmentation de pression augmente les effets de viscosité et ralentit les écoulements, c’est l’effet inverse qui se produit dans l’eau. Des physiciens ont montré que cette anomalie, peu marquée à température ambiante, devient spectaculaire dans l’eau surfondue, c’est-à-dire restant liquide sous son point de fusion.
Quiconque se déplace pendant les heures de pointe sait que, plus dense est la foule, plus lent est le mouvement. Les liquides suivent cette loi, sauf l’eau froide : une augmentation de pression rend l’eau plus dense, mais diminue sa viscosité ! Ceci témoigne de l’effondrement progressif du réseau des liaisons hydrogène dans l’eau, responsable de nombreuses anomalies de ce liquide. Comme le réseau des liaisons hydrogène se développe lorsqu’on refroidit l’eau, on s’attend à un effet encore plus marqué de la pression sur la viscosité pour l’eau liquide surfondue. L’eau liquide surfondue est de l’eau qui demeure liquide à une température inférieure au point de fusion de la glace, comme par exemple les gouttes d’une pluie verglaçante. La connaissance des propriétés de l’eau surfondue est importante pour départager différentes théories de la structure de l’eau. Cependant, l’eau surfondue peut cristalliser à tout moment, ce qui rend toute mesure particulièrement délicate. C’est sans doute pour cela qu’aucune donnée de viscosité n’était jusqu’ici disponible dans ces conditions extrêmes.

Des physiciens de l’Institut Lumière Matière (Lyon) sont parvenus à mesurer la viscosité de l’eau pour des températures descendant jusqu’à -29 °C et des pressions montant jusqu’à 3000 atmosphères, révélant que la pression peut réduire la viscosité de près de moitié ! Pour cela, les auteurs ont construit un viscosimètre à temps de vol. De l’eau pure s’écoule le long d’un tuyau en verre de diamètre 1/100e de millimètre. Une solution très diluée de soude est ajoutée, ce qui change la conductivité du liquide et permet de détecter l’avancée de la soude dans le tuyau grâce à deux électrodes. Connaissant la distance entre électrodes et la différence de pression entre les extrémités du tuyau, la mesure du temps de parcours donne accès à la viscosité. Les auteurs ont ainsi réussi à mesurer l’écoulement d’eau liquide jusqu’à 19 °C au-dessous du point de fusion de la glace. Ce travail est publié dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). Les auteurs proposent également l’extension d’un modèle qui traite l’eau comme un mélange de deux espèces dont la proportion varie en fonction de la température et de la pression. Le nouveau modèle reproduit quantitativement les propriétés thermodynamiques et dynamiques de l’eau et fournit une explication simple et unificatrice de ses anomalies.

© NMFS/Southwest Fisheries Science Center
En savoir plus
Pressure dependance of viscosity in supercooled water and a unified approach for thermodynamic and dynamic anomalies of water
L. P. Singh, B. Issenmann et F. Caupin
PNAS (2017), doi:10.1073/pnas.1619501114
Informations complémentaires
Institut Lumière Matière (ILM, CNRS/Univ. Lyon 1)