Un gaz de molécules ultra-froides avec un moment dipolaire record

Résultat scientifique

Des physiciens viennent d’obtenir pour la première fois un gaz ultra-froid de molécules en faisant réagir du sodium avec du rubidium. C’est le calcul théorique de la position des niveaux d’énergie de la molécule obtenue, NaRb, qui a permis de déterminer le schéma laser optimal pour cette synthèse.

Les chercheurs savent aujourd’hui créer des gaz ultra-froids de molécules en combinant des atomes d’espèces différentes provenant de deux nuages d’atomes froids. L’organisation des molécules au sein d’un tel gaz est gouvernée par les effets quantiques et, en premier lieu, par une interaction à longue distance : l’interaction dipôle-dipôle1. Un réseau optique à trois dimensions dans lequel de telles molécules seraient piégées et dont les dipôles seraient alignés le long d’un champ électrique représenterait un environnement idéal pour des expériences de simulation quantique. Pour cela, les chercheurs doivent concilier deux impératifs. Trouver quelles molécules sont susceptibles d’interagir le plus fortement possible et, pour celles-ci, déterminer les fréquences des lasers qui seront utilisés pour conduire efficacement ces molécules dans leur état fondamental stable une fois que les atomes sont associés. Tout ceci nécessite une connaissance très fine des états de la molécule et des transitions accessibles par laser. Plusieurs couples d’atomes de la famille « sodium (Na), potassium (K), rubidium (Rb), césium (Cs) » sont dans la course : NaK, KRb, RbCs ou NaRb. Ce dernier a été choisi par la collaboration entre une équipe de théoriciens du Laboratoire Aimé Cotton (LAC, CNRS/UPSud/Univ. Paris Saclay/ENS Paris-Saclay) et une équipe expérimentale de l’Université chinoise de Hong Kong (CUHK).

Une modélisation numérique fine des niveaux d’énergie de la molécule NaRb par l’équipe théorique THEOMOL du LAC a permis de proposer un schéma qui maximise la création de molécules dans leur état fondamental grâce au dispositif expérimental de l’équipe de CUHK. Les chercheurs ont ainsi obtenu un gaz ultra-froid de molécules NaRb avec un moment dipolaire record de 1 Debye, soit deux fois plus grand que les expériences précédentes, à une température de l’ordre de 700 nanokelvins. C’est aujourd’hui le gaz ultra-froid de molécules avec le moment dipolaire le plus élevé, ce qui est crucial pour la détection des effets des interactions dipôle-dipôle. Leur expérience a en outre mis en évidence un obstacle inattendu : malgré leur stabilité chimique prévue, un processus encore inexpliqué conduit à une perte importante de molécules à l’état fondamental. Parmi les hypothèses explorées figure la formation transitoire de complexes (NaRb)2 qui s’échapperaient spontanément de la zone de piégeage. De telles observations sont précieuses pour l’ensemble des groupes travaillant dans le domaine car elles permettent d’approfondir les processus de formation et de stabilité de ces gaz ultra-froids. Ce travail est paru dans Physical Review Letters.

La méthode expérimentale utilisée par la collaboration comporte trois étapes majeures : la création simultanée de deux nuages d’atomes ultra-froids de Na et Rb piégés par un champ laser au même endroit ; l’association de paires d’atomes en molécules dans un même niveau très faiblement lié, contrôlée par un champ magnétique ajustable ; le transfert – dit adiabatique – de la population de ce niveau vers le niveau fondamental absolu des molécules NaRb par une séquence de deux impulsions lasers synchronisées pour optimiser son efficacité. Le choix des paramètres de ces lasers est critique et ne peut être déterminé que par une connaissance très détaillée de la structure des niveaux d’énergie moléculaires. La simplicité de la molécule NaRb – et des molécules de la même famille – n’est qu’apparente, et cela reste un défi pour les méthodes avancées de calcul de structure électronique, auxquelles doivent être adjointes des techniques de spectroscopie moléculaire. C’est ce qui fait l’originalité de cette collaboration internationale. 

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Un moment dipolaire permanent de 1 Debye a été mesuré par des techniques de spectroscopie sous champ électrique. Ainsi, les chercheurs ont obtenu par une collaboration théorie-expérience un gaz ultra-froid de NaRb : la molécule ultra-froide la plus dipolaire jusqu’à présent. 

© Equipe Théomol, Laboratoire Aimé Cotton

 

En savoir plus

Creation of an Ultracold Gas of Ground-State Dipolar NaRb Molecules 
Mingyang Guo, Bing Zhu, Bo Lu, Xin Ye, Fudong Wang, Romain Vexiau, Nadia Bouloufa-Maafa, Goulven Quéméner, Olivier Dulieu et Dajun Wang 
Physical Review Letters (2016), doi:10.1103/PhysRevLett.116.205303

 

Informations complémentaires

Laboratoire Aimé Cotton (LAC, CNRS/UPSud/Univ. Paris Saclay/ENS Paris-Saclay)

Contact

Romain Vexiau
Nadia Bouloufa-Maafa
Goulven Quéméner
Olivier Dulieu
Communication CNRS Physique