Le graphène comme filtre optique intégré pour des semiconducteurs bidimensionnels
Contrôler l'émission lumineuse des semiconducteurs est un enjeu majeur pour leur intégration dans de futurs dispositifs optoélectroniques plus performants. Dans ce travail, des physiciens ont conçu de nouveaux systèmes luminescents bidimensionnels, qui, grâce à l'introduction d'une couche de graphène, émettent une raie unique et intense.
Les matériaux bidimensionnels (2D) tels que le graphène sont des matériaux en feuillet que l'on peut empiler pour obtenir, par couplage entre les différents feuillets (interactions de Van der Waals), une grande variété de propriétés nouvelles et parfois inattendues. Ils sont très étudiés car ils ouvrent de nombreuses perspectives pour la réalisation de nouveaux composants intégrés dans des dispositifs optoélectroniques. L'optoélectronique exploite à la fois des propriétés optiques et électroniques et la capacité de ces matériaux à émettre de la lumière et à conduire le courant sont des caractéristiques essentielles. Les matériaux appelés TMD1 (dichalcogénures de métaux de transition, par exemple MoS2, WSe2) comptent parmi les plus célèbres de ces matériaux 2D. Ce sont des semiconducteurs et ils sont susceptibles d’émettre un signal lumineux intense en interagissant fortement avec la lumière (photoluminescence). Leurs développements applicatifs se heurtent néanmoins à deux obstacles : l'émission des TMD est particulièrement complexe, constituée de plusieurs raies dues à des phénomènes physiques parfois difficiles à identifier, et de plus, il est difficile de réaliser de bons contacts électriques sur les TMD.
En couplant un feuillet de TMD à un feuillet de graphène, des physiciens de l’Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS, CNRS/Univ. Strasbourg), du Laboratoire de physique et chimie des nano-objets (LPCNO, CNRS/INSA Toulouse/Univ. Toulouse 3 Paul Sabatier), en collaboration avec des chercheurs japonais, ont démontré que le graphène agit comme un filtre optique étroit et sélectif, susceptible de « nettoyer » complètement le spectre d’émission du TMD. Etant donné l'excellente conductivité du graphène, c'est d'une pierre deux coups et les hétérostructures TMD/graphène s’imposent alors comme des briques élémentaires qu’il sera possible d’exploiter pour réaliser des dispositifs luminescents contrôlés électriquement. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Nanotechnology.
En pratique, les physiciens ont formé différentes hétéro-structures de van der Waals à partir de cristaux massifs de TMD (MoSe2, MoS2, WSe2, WS2) et de graphite (figure), à l’aide de techniques de micromanipulation et de transfert de feuillets. Ils ont ensuite étudié l’émission de lumière par photoluminescence en excitant leurs échantillons à basse température (quelques kelvins) avec un laser. Des excitons se forment quand un électron promu dans un état énergétique excité se retrouve en interaction coulombienne avec la lacune positivement chargée qui est alors créée. Au bout d'un certain temps, qui est la durée de vie de l'exciton, les deux charges recombinent, soit radiativement en émettant de la lumière, soit en dissipant leur énergie dans le matériau. La situation peut être plus complexe et faire intervenir des porteurs de charges additionnels liés aux imperfections de la structure des feuillets ou à leur environnement. Ainsi, plusieurs types d’excitons peuvent coexister, avec des durées de vie radiative allant de deux à plusieurs centaines de picosecondes, la dynamique associée à leur formation et à leur recombinaison étant très complexe. La complexité de l'émission des TMD vient de l'existence de ces différents types d'excitons. En présence de graphène, on assiste à deux effets importants : d'une part les porteurs de charges additionnels sont neutralisés et l’émission de lumière due à la recombinaison des excitons correspondants disparait. D'autre part, la dissipation d'énergie dans le matériau est accélérée pour les excitons de longue durée de vie radiative par l'interaction avec le graphène. Au final, le graphène agit comme s'il filtrait toutes les émissions provenant des excitons du TMD sauf une seule raie, celle qui correspond à la plus courte durée de vie de 2 picosecondes (figure). Cet exciton est intrinsèque au matériau et c’est là qu’intervient la spécificité des TMD qui fait le succès du filtrage : la durée de vie radiative de leurs excitons intrinsèques est exceptionnellement courte par rapport à celle des autres excitons mais aussi en comparaison avec d’autres semi-conducteurs plus conventionnels. À température ambiante, l'effet de filtrage du graphène est remarquablement persistant, et, même si l'intensité de photoluminescence est moindre. Ces travaux, en associant des qualités du graphène à celles des TMD, sont très encourageants pour les applications des nouveaux matériaux 2D à l'optoélectronique et aux nouvelles technologies.
- 1Transition metal dichalcogenides
Référence
Filtering the photoluminescence spectra of atomically thin semiconductors with graphene. E. Lorchat, L. E. Parra López, C. Robert, D. Lagarde, G. Froehlicher, T. Taniguchi, K. Watanabe, X. Marie et S. Berciaud, Nature Nanotechnology, paru le 9 mars 2020.
DOI : 10.1038/s41565-020-0644-2
Article disponible sur la base d’archives ouvertes arXiv.