Le chaos pour contrôler des atomes ultrafroids
La physique quantique autorise le passage de barrières de potentiel classiquement infranchissables par un effet dit effet tunnel. Dans les systèmes chaotiques, cet effet tunnel est profondément modifié. Dans ce contexte, les chercheurs mettent ici en évidence une propriété remarquable de l'effet tunnel prédite en 1994, l'observation de résonances. Ce résultat démontre la possibilité de contrôler finement la dynamique de l'effet tunnel grâce au chaos quantique, et ouvre de nouvelles perspectives pour la simulation quantique.
La simulation quantique consiste à utiliser un système quantique pour modéliser des effets quantiques complexes issus de la matière condensée ou de la physique des hautes énergies. Un exemple d'un tel système est la simulation de la conduction électronique dans un réseau cristallin grâce à un ensemble d'atomes refroidis à très basse température et piégés dans un réseau optique construit par interférences lumineuses.
La dynamique de ces systèmes quantiques, tout comme celle des systèmes classiques, peut afficher divers degrés de chaos. Les systèmes chaotiques classiques présentent une sensibilité exponentielle aux conditions initiales si bien que l'évolution de tels systèmes est difficile à prédire: une petite différence au départ peut induire une très grande différence à l'arrivée. En contrepartie, cette instabilité intrinsèque au chaos les rend polyvalents et de manière surprenante, elle peut être exploitée pour amener le système vers un état final à un coût minime. Ce processus est baptisé « contrôle du chaos ». Par ailleurs, les systèmes quantiques sont bien connus pour franchir des barrières de potentiel infranchissables classiquement grâce à l'effet tunnel. Dans un système présentant du chaos, cet effet peut être fortement affecté et conduire à des résonances, c'est-à-dire à de grandes variations du taux de franchissement pour des petites variations de paramètres. Jusqu'à présent, les limites expérimentales rendaient impossible l'observation de ces résonances.
Une collaboration entre théoriciens et expérimentateurs du Laboratoire collisions agrégats réactivité (LCAR, CNRS/Université Toulouse III-Paul Sabatier), du Laboratoire de physique théorique (LPT, CNRS/Université Toulouse III-Paul Sabatier) et du Laboratoire de physique théorique et modèles statistiques (LPTMS, CNRS/Université Paris-Saclay) vient pour la première fois de démontrer expérimentalement les résonances de l'effet tunnel d'un système quantique chaotique. Les physiciens et physiciennes ont pour cela réalisé un système quantique présentant à la fois des zones régulières et chaotiques en plaçant des atomes ultrafroids dans un réseau optique dont la profondeur est modulée dans le temps. Les états quantiques sont soit localisés dans des îlots réguliers, soit étalés dans une mer chaotique (figure). Dans ce contexte, l'effet tunnel prend place entre les îlots réguliers et est fortement influencé par les états de la mer chaotique. Par un choix précis des paramètres expérimentaux, il est possible de contrôler la position, le nombre d'îlots, la taille de la mer chaotique pour observer les résonances induites par le chaos. Ces travaux sont publiés dans la revue Science Advances.
Ces résultats ouvrent de nouvelles possibilités pour la simulation quantique, notamment pour étudier les effets de transport à longue distance. En effet, ces résonances tunnel, médiées par des états quantiques délocalisés dans la mer chaotique qui entoure tous les sites du réseau, conduisent à des transferts à longue distance à travers le système. Les modèles à longue portée ont été beaucoup étudiés théoriquement en matière condensée, et présentent une riche phénoménologie telle que la multifractalité, la physique vitreuse, la supraconductivité à haute température. Le protocole présenté dans ce travail propose une nouvelle stratégie pour émuler de tels modèles avec des atomes froids.
Référence
Chaos-assisted tunneling resonances in a synthetic Floquet superlattice. M. Arnal, G. Chatelain, M. Martinez, N. Dupont, O. Giraud, D. Ullmo, B. Georgeot, G. Lemarié, J. Billy et D. Guéry-Odelin, Science Advances, paru le 18 septembre 2020.
Article disponible sur les bases d'archives ouvertes arXiv et HAL