Des pagaies moléculaires pour la nage des globules blancs
De quelle façon les cellules se déplacent dans l'organisme est une question encore ouverte. Alors qu'il était généralement admis que les cellules immunitaires telles que les globules blancs avaient besoin pour se déplacer d'interactions avec un solide sous forme adhésion ou de friction, les chercheurs et les chercheuses démontrent ici un mécanisme de déplacement versatile où des protéines jouent le rôle de pagaies et qui permet aux cellules aussi bien de nager en suspension dans un liquide que de ramper en interaction avec un solide.
La capacité pour les globules blancs à se déplacer dans des environnements variés est cruciale pour une réponse efficace contre des pathogènes envahissant un organisme. Jusqu'à présent, il était largement admis que le déplacement de ces cellules, au contraire de cellules nageuses comme les amibes, requiert une interaction mécanique par adhésion ou par friction avec un substrat solide. De plus, la nage des amibes et des cellules amiboïdes est généralement attribuée à des changements de forme cellulaire, soit une propulsion par déformation. En développant de nouvelles expériences pour décrypter le mouvement des cellules en phase liquide et en les confrontant à une modélisation originale qui prend en compte l'échelle moléculaire, des chercheurs et des chercheuses viennent d’apporter un éclairage très différent sur le mouvement des globules blancs au sein d'une collaboration entre le Laboratoire adhésion et inflammation (LAI, CNRS/Aix-Marseille Univ./Inserm) à Marseille et le Laboratoire interdisciplinaire de physique (LIPhy, CNRS/Univ. Grenoble-Alpes) à Grenoble[1]. Ils montrent en effet d'une part que des globules blancs sont capables de nager efficacement en suspension liquide, donc sans aucune interaction avec un solide, et d'autre part que ce mouvement de nage se fait grâce à un système moléculaire dont le mouvement est semblable à celui de pagaies, sans que le changement de forme des cellules soit essentiel dans le déplacement. Ces résultats sont publiés dans la revue Biophysical Journal.
La membrane des cellules est sous-tendue par un "squelette" aussi appelé cortex, formé de protéines, les actines, et sur lequel sont ancrées des protéines transmembranaires qui relient le cortex au milieu extérieur (figure A). Cette étude montre que la nage est assurée par ces protéines transmembranaires qui pointent leur tête au contact du liquide ambiant à l’extérieur des cellules. Elles assurent la motricité en agissant à la surface de la cellule comme des pagaies moléculaires pour la propulser vers l’avant. Le moteur interne du mouvement est le déplacement rétrograde du cortex d’actine qui se met alors en place. Ce flux rétrograde d’actine étant à sens unique, il tend à accumuler toutes les « protéines-pagaies » à l’arrière de la cellule, et ce mécanisme seul conduirait à un arrêt des cellules après transport de la dernière protéine-pagaie. Les chercheurs et les chercheuses ont cependant montré que, une fois à l'arrière, ces protéines sont introduites à l'intérieur de la cellule (endocytose) puis transportées en sens inverse par trafic vésiculaire (c'est-à-dire au sein de capsules de lipide détachées de la membrane), pour réapparaitre en surface à l’avant des cellules (figure A). Elles peuvent alors reprendre leur rôle de pagaies et perpétuer ce mouvement directionnel des cellules.
Cette étude montre de plus que ce mode de propulsion par pagaies moléculaires est à l'œuvre pour le déplacement des globules blancs non seulement dans un fluide mais également en interaction avec un solide, et dans ce cas, avec ou sans mécanisme d'adhésion (figure B). Le couplage des pagaies moléculaires avec l’extérieur dépend du type d’environnement mais la machinerie cellulaire assurant la propulsion est inchangée. La versatilité de cette propulsion par pagaies moléculaires n’exclue pas l’existence d’autres modes de propulsion mais elle remet en question la nécessité qu'il existe plusieurs modes pour que des cellules s'adaptent à des environnements variés.
[1] avec également la participation de l'Institut de biologie du développement de Marseille (IBDM, CNRS/Aix-Marseille Univ.), de l'Institut Curie (Inserm) et de l'Institut interdisciplinaire de neurosciences (IINS, CNRS/Univ. Bordeaux)
Référence
Amoeboid swimming is propelled by molecular paddling in lymphocytes. L. Aoun, A. Farutin, N. Garcia-Seyda, P. Nègre, M. S. Rizvi , S. Tlili, S. Song, X. Luo, M. Biarnes-Pelicot, R. Galland, J.-B. Sibarita, A. Michelot, C. Hivroz, S. Rafai, M.-P. Valignat, C. Misbah*, O. Theodoly*, Biophysical Journal, le 15 septembre 2020.
DOI: 10.1016/j.bpj.2020.07.033
Article disponible sur la base d’archives ouvertes HAL.