Fabriquer des nanoséismes en laboratoire

Résultat scientifique

A l'aide d'un simple assemblage de billes de verres comprimé, des chercheurs sont parvenus à reproduire précisément le glissement de deux plaques tectoniques l'une contre l'autre, un phénomène à l’origine des tremblements de terre.

Le glissement des plaques tectoniques le long des failles sismiques engendre des tremblements de terre parfois dévastateurs. Encore essentiellement imprévisibles de nos jours malgré plus d’un siècle d’études, les séismes obéissent pourtant à des lois statistiques universelles. L'origine de ces lois, établies empiriquement au XXème siècle, reste en partie obscure. La création en laboratoire de failles modèles reproduisant les caractéristiques statistiques des tremblements de terre naturels constitue donc un enjeu fondamental pour leur compréhension. Une équipe pluridisciplinaire associant des physiciens de l’Institut de physique de Rennes (IPR, CNRS/Univ. Rennes 1) à des géophysiciens de l’Institut des sciences de la Terre (ISTERRE, CNRS/Univ. Savoie Mont Blanc/IRD/Univ. Grenoble Alpes) a mis au point dans une expérience une faille modèle reproduisant fidèlement, à l'échelle du laboratoire, les propriétés des failles terrestres naturelles.

Dans cette expérience, un milieu granulaire composé de billes de verre est lentement comprimé. Après une phase transitoire, un plan de glissement se forme spontanément entre deux blocs frottant l'un contre l'autre, à la manière de deux plaques tectoniques de la croûte terrestre. Grâce à une méthode interférométrique, les chercheurs ont montré que le glissement le long de cette faille modèle s'opère sous la forme d'une succession de petits glissements assimilables à des nanoséismes. Ils sont de vingt ordres de grandeur (1020) moins énergétiques que les séismes naturels, mais caractérisés par des lois statistiques en tous points similaires à celles des tremblements de terre, que ce soit les distributions des magnitudes (loi de Gutenberg-Richter), l’occurrence de répliques (loi d'Omori et loi de productivité), et les corrélations existantes entre occurrences de séismes. Par exemple, la succession des tremblements de terre dans une même région est comparable temporellement à la succession des nanoséismes en laboratoire (figure). Comparée à d'autres techniques, l'interférométrie permet à la fois de mesurer ces très petits déplacements, mais aussi de les visualiser, ce qui serait impossible avec des méthodes plus classiques, notamment acoustiques. Ces travaux sont publiés dans la revue Communications Earth & Environment le 14 mai 2021.

En modélisant la croûte terrestre avec de simples billes de verre, les chercheurs sont parvenus à une description la plus simple qui soit d’un tel système. Ce modèle de faille sismique réaliste et élémentaire permet des études jusqu’ici inenvisageables à l’échelle de la tectonique terrestre. Par exemple, l'origine de la dépendance temporelle des répliques est toujours débattue. Ce dispositif permettrait d'estimer l'implication des vitesses relatives des plaques dans l’occurrence des répliques, et de la distinguer d'une dépendance purement temporelle. Il offre également la possibilité d'étudier l'effet d’un bruit mécanique (par exemple de la fracturation hydraulique) comme source possible de déclenchement de tremblements de terre.

bandes de cisaillement
Figure : Gauche : bandes de cisaillement dans un milieu granulaire comprimé.
Droite : faille de San Andreas.
Centre : Corrélation des déformations pour ces deux systèmes.
© Jérôme Crassous, IPR.

Référence

Micro-slips in an experimental granular shear band replicate the spatiotemporal characteristics of natural earthquakesD. Houdoux, A. Amon, D. Marsan, J. Weiss et J. Crassous, Communications Earth & Environment. Publié le 14 mai 2021.
DOI :  10.1038/s43247-021-00147-1
 

Contact

Jérôme Crassous
Professeur des universités à l’université Rennes 1, Institut de Physique de Rennes
Communication CNRS Physique