Pourquoi courber une feuille de papier lui met la pression
Des chercheurs ont montré dans quelles conditions courber une feuille de papier induit une compression qui la froisse comme si elle avait été chiffonnée entre les mains.
Le froissement de feuilles minces est une situation que l’on retrouve à plusieurs échelles : froissement de la carrosserie d’un véhicule, d’une feuille de papier ou encore de feuillets moléculaires. Il se traduit par de multiples points de dommages où la feuille est irréversiblement abîmée. La maîtrise de ces froissements est une problématique actuelle, que ce soit pour la protection des feuilles minces ou pour l’exploitation de la transition de froissement, afin de réaliser des matériaux réactifs, sensibles à leur environnement. À ce jour, le froissement est une transition bien identifiée dans des situations de confinement d’une feuille dans un petit volume, par exemple une sphère dont le diamètre est plus petit que n'importe quelle dimension de la feuille (longueur, largeur). Dans cette étude, des chercheurs montrent que le simple fait de courber une feuille de papier, sans confinement en volume, peut mener à une situation de froissement contrôlée. Ils identifient pour la première fois le mécanisme d’apparition du froissement et donnent un critère de froissement portant uniquement sur les dimensions géométriques de la feuille. Ces travaux ont été menés par une équipe du Laboratoire ondes et matière d’Aquitaine (LOMA, CNRS/Univ. Bordeaux) en collaboration avec l’Institut des sciences du mouvement (ISM, CNRS/Univ. Aix-Marseille) et la start-up Hap2U. Ils sont publiés dans la revue Physical Review E.
L’expérience menée par les chercheurs consiste à prendre une feuille de papier rectangulaire et à amener au contact les deux points se trouvant au milieu du bord long de la feuille. Si la procédure est réalisée pour une feuille de papier A4, la feuille se trouve courbée « en U », régulièrement et sans froissement. Pour une feuille plus étroite, la procédure de contact donne lieu à une morphologie bien différente et des plis multiples apparaissent vers le milieu de la feuille. Ces plis sont la signature d’un froissement partiel de la feuille qui se trouve marquée de manière permanente. Lui imposer une courbure induit ainsi une compression à l'origine du froissement, alors même qu'au premier ordre, aucune compression n'est imposée (figures 1 et 2). La feuille « choisit » en quelque sorte de se froisser. Or, on estimait jusqu'ici qu'une feuille mince se déformait par courbure, en évitant la compression et l’étirement. La compréhension de ce mécanisme de froissement permet d’anticiper la localisation des points de focalisation des contraintes et d'envisager un contrôle des événements de froissement dans les structures minces, et ce pour différentes natures (papier, acier...) : la structure des feuilles minces est en effet dominée par des effets de géométrie, et non par les propriétés intrinsèques des matériaux.
Référence
Transition to stress focusing for locally curved sheets. Thomas Barois, Ilyes Jalisse, Loïc Tadrist et Emmanuel Virot, Phys Rev E, paru le 09 juillet 2021.
DOI : doi.org/10.1103/PhysRevE.104.014801
Texte disponible sur les bases d'archives ouvertes HAL et arXiv.