Comment révéler le repliement des chromosomes par l’analyse spectrale
Une étude théorique montre que l’état de repliement d’un polymère ou d’un chromosome peut être caractérisé simplement par son analyse spectrale, sans besoin de connaître ni sa longueur, ni la valeur de l’énergie d’interaction entre ses éléments. Des physiciennes et des physiciens proposent alors un outil efficace pour analyser le repliement à partir d’expériences de microscopie de fluorescence.
L’état de repliement des chromosomes dans le noyau cellulaire est aujourd'hui très activement étudié, car il détermine très probablement l'activité biologique. Un chromosome peut être vu comme une longue chaine, ou polymère, partagée en régions qui ont une configuration très peu dense de type pelote dans laquelle les éléments de la chaine se disposent de la même manière que les pas d’une marche aléatoire, ou au contraire une configuration condensée de type globule si les interactions entre les éléments sont suffisantes pour contrer l’agitation thermique. Ces deux configurations peuvent être distinguées en regardant comment le volume dans lequel s’inscrit le polymère croît avec le nombre de ses éléments : proportionnellement à ce nombre dans le cas condensé, plus rapidement (avec une puissance 3/2) pour la pelote. Mais comment caractériser cet état si, comme dans le cas des chromosomes, on ne dispose que d’un seul polymère de longueur donnée et que, de plus, on ne connaît pas le nombre d’éléments qui le composent ?
Des physiciennes et des physiciens théoriciens des laboratoires de Physique théorique de la matière condensée (LPTMC, CNRS / Sorbonne Université) et Physicochimie des électrolytes et nanosystèmes interfaciaux (Phenix, CNRS / Sorbonne Université) ont résolu ce problème en étudiant des configurations de polymères, obtenues par simulation numérique, comme on le ferait pour les oscillations d’une corde vibrante, c'est-à-dire en les décomposant en contributions sinusoïdales appelées modes, de longueur d’onde variable, de sorte à obtenir un spectre. Il apparaît alors que, à petite échelle, l’arrangement d’une configuration globule est très proche de celui d’une configuration pelote. Ce n’est qu’aux grandes échelles que la condensation a un effet : les premiers modes d’une configuration globule, correspondant aux oscillations de grande longueur d’onde, sont fortement atténués et le spectre est aplati. En effet, si on ne considère que des éléments très éloignés le long de la chaîne, leur position à l’intérieur du globule est essentiellement aléatoire à cause des allers-retours du polymère, ce qui correspond à un spectre plat comme celui d’un “bruit blanc”. En conclusion, les physiciens ont pu prouver ainsi que l’étude des seuls premiers modes du spectre issu d’un polymère permet de déterminer son état de repliement, et ce, sans besoin de connaître ni le nombre d’éléments qui le composent, ni l’énergie d’interaction entre eux. Ce travail est publié dans Physical Review Letters.
Des nouvelles techniques expérimentales de microscopie de fluorescence permettent aujourd’hui d’obtenir des collections de configurations d’une région chromosomique, échantillonnée avec une résolution allant de trois à plusieurs centaines de points et l’approche développée dans ce travail s’adapte parfaitement à leur étude. La portée de l’analyse spectrale, appliquée ici pour la première fois dans le contexte de la caractérisation des configurations polymériques, va d’ailleurs bien au-delà des états bobine et globule, et peut décrire efficacement d'autres architectures telles que des boucles, des polymères étirés ou une variété de configurations multifractales, potentiellement intéressantes aussi pour l'étude des chromosomes.
Référence
Assessing the polymer coil-globule state from the very first spectral modes.
T. Földes, A. Lesage, M. Barbi, Physical Review Letters, paru le 31 décembre 2021.
DOI : 10.1103/PhysRevLett.127.277801
Archives ouvertes ArXiv et HAL.