L’art d’empiler des pyramides
Des chercheurs et des chercheuses ont synthétisé des cristaux formés de bipyramides d'or allongées et décrit leur empilement optimal dans des assemblages tridimensionnels. Ce résultat, au carrefour de la chimie et de la géométrie, offre des perspectives pour la synthèse de nano matériaux aux symétries inédites.
L’assemblage optimum d’objets identiques est un problème de géométrie qui fascine les scientifiques depuis l’Antiquité. Les travaux fondateurs de Johannes Kepler (1571-1630) ont montré que des objets de symétrie 5, des pentagones réguliers par exemple, occupent une place de choix à cet égard. En effet, ils ne peuvent paver un plan entièrement, sauf en se combinant à d’autres formes. Cela a conduit beaucoup plus tard à la découverte des quasi-cristaux de symétrie 5. Ces questions de géométrie peuvent être étudiées en science des nanomatériaux en synthétisant des nanoparticules avec un grand contrôle de leur forme. Parmi les morphologies les plus prometteuses pour les propriétés optiques, les bipyramides d’or de symétrie 5 sont des objets très étudiés actuellement car leurs pointes permettent de moduler fortement leur réponse optique.
Grâce à un contrôle poussé de leur géométrie (forme allongée, à bouts pointus et base pentagonale), les chercheurs et chercheuses ont pu cristalliser ces nanoparticules et décrire leur mode d’empilement. Une collaboration rassemblant le Laboratoire de physique des solides (LPS, CNRS/Université Paris-Saclay), l’Institut Charles Sadron (ICS, CNRS/Université de Strasbourg), le synchrotron SOLEIL et des scientifiques espagnols de Donastia - San Sebastian, a démontré que ces objets forment un réseau triclinique, la plus faible symétrie possible pour un cristal. Ils ont aussi mis en évidence que le signal obtenu par spectroscopie Raman des molécules est accru au voisinage de ces assemblages, avec une intensité dépendante de la facette exposée du cristal. Ce travail a été publié dans la revue Advanced Materials.
Cette perte de symétrie peut être comprise à travers une analogie avec l’empilement optimum des pentagones réguliers dans le plan : les objets individuels ont une symétrie de rotation d’ordre 5, mais ils s’associent par deux ce qui crée un centre d’inversion et ce faisant réduit leur symétrie de rotation à l’ordre 2 (figure). Dans les cristaux obtenus expérimentalement, les bipyramides de section pentagonale s’associent de manière tout à fait similaire, avec deux particules par maille, généralisant à trois dimensions le mode d’empilement des pentagones réguliers (figure). L’assemblage a été « disséqué » par un faisceau d’ions afin d’en imager chaque tranche et de reconstituer la structure tridimensionnelle. En combinant cette information avec la diffusion des rayons X, la symétrie du réseau a été identifiée comme étant triclinique. De plus, des simulations numériques reproduisant la symétrie et la densité de l’empilement ont confirmé qu’il s’agit bien de la solution la plus compacte possible.
Ainsi, la nanochimie vient à la rencontre de la géométrie par des aller-retours entre synthèse, caractérisation et modélisation. Elle éclaire expérimentalement un problème ardu d’empilement optimum de polyèdres et conduit à l’obtention de nano-matériaux de symétrie inédite. Le résultat concernant le signal Raman offre de plus la possibilité d’une application pour la détection de molécules à faible concentration.
Référence
Double-lattice packing of pentagonal gold bipyramids in supercrystals with triclinic symmetry. J. Lyu, W. Chaabani, E. Modin, A. Chuvilin, T. Bizien, F. Smallenburg, M. Impéror-Clerc, D. Constantin, C. Hamon, Advanced Materials, paru le 24 mars 2022.
DOI: 10.1002/adma.202200883
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