Transmettre le temps de Paris à Turin

Les laboratoires de métrologie comme le LNE-SYRTE à Paris ou l’INRIM à Turin détiennent des horloges atomiques extrêmement performantes utilisées pour maintenir les échelles de temps qui servent de référence au niveau français et international, comme le Temps Atomique International. Cette calibration précise du temps, ainsi que de son inverse, la fréquence, est indispensable pour des mesures de précision pour la physique fondamentale ou, par exemple, la physico-chimie de l’atmosphère et pour la synchronisation d’observations astrophysiques ou en physique des hautes énergies. Afin de pouvoir comparer les signaux délivrés par ces horloges, il est nécessaire qu’elles puissent communiquer entre elles. La technique utilisant des réseaux de satellites étant devenue trop imprécise par rapport à la stabilité en fréquence des meilleures horloges atomiques, une autre option s’est développée consistant à utiliser les réseaux de fibre optique. Une collaboration franco-italienne entre le Laboratoire de physique des lasers (LPL, CNRS / Université Sorbonne Paris Nord), Systèmes de Référence Temps-Espace (SYRTE, CNRS / Observatoire de Paris – PSL / Sorbonne Université), le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) et l’Istituto nazionale di ricerca metrologica (INRIM) à Turin vient de démontrer le fonctionnement quasiment sans interruption pendant quatre mois d’une liaison par fibre optique de 1023 km entre les instituts métrologiques italien et français. C’est la première fois qu’une liaison d’une telle longueur fonctionne 24 heures sur 24 aussi longtemps, ce qui montre son potentiel à offrir un service scientifique en continu. La partie française s’appuie sur l’infrastructure de recherche REFIMEVE1 qui permet de disséminer sur plus de 6000 km de liens optiques sur tout le territoire national, via le réseau de fibres optiques de RENATER, la stabilité et l’exactitude des références nationales temps-fréquence élaborées par le LNE-SYRTE.

Le faisceau d’un laser asservi à l’horloge atomique de référence est injecté dans la fibre optique sur un des canaux réservés du multiplex, les autres restant utilisés pour transmettre les données de télécommunications sans perturbation du signal. Tout au long du parcours, des stations relais permettent de répéter le signal pour l’injecter d’un lien à un autre. Les bruits induits par les fluctuations thermiques et les vibrations acoustiques, qui sont susceptibles de dégrader le signal transmis, sont compensés avec un système électronique.

La liaison franco-italienne a permis de comparer pendant quatre mois les horloges atomiques au Cs, Rb et Yb des deux pays, soulignant le potentiel des liens optiques fibrés pour évaluer les bilans d'incertitude de ces horloges. La caractérisation de l’incertitude induite par l’utilisation du lien optique (inférieure à 6.10^-19) conforte l’idée qu’il pourra être utilisé dans le développement d’échelles de temps basées sur l’optique. En effet la définition actuelle de la seconde, reposant sur une transition atomique du ¹³³Cs dans le domaine micro-onde, a une précision de l’ordre de 10^-16. En utilisant plutôt des transitions dans le domaine optique d’atomes ou d’ions, cette précision pourrait atteindre 10^-18. Des applications multiples en découleraient comme la mesure encore plus précise du champ gravitationnel terrestre ou des constantes fondamentales de la physique et le test des théories physiques au-delà du modèle standard. Ces résultats sont publiés dans la revue Physical Review Applied.

De nombreuses autres applications des liens optiques, et en particulier de REFIMEVE, sont en cours d’exploration, notamment en photonique et en spectroscopie atomique et moléculaire de précision.

 

[i] REMIFEVE été labellisée en octobre 2021 par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. REFIMEVE est pilotée par le LPL et le LNE-SYRTE.

• 1REMIFEVE été labellisée en octobre 2021 par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. REFIMEVE est pilotée par le LPL et le LNE-SYRTE.