Et la nourriture se fit rare dans un territoire trop arpenté...
Des chercheurs viennent d’obtenir un résultat majeur en théorie des marches aléatoires en étudiant la répartition statistique des temps d’attente entre deux visites successives de sites non encore explorés, une caractéristique primordiale pour tout être vivant cherchant sa nourriture dans un espace donné.
L’un des modèles les plus simples et les plus étudiés de la physique statistique hors équilibre est le mouvement brownien, dans lequel une molécule ou un être vivant (l’exemple de l’ivrogne est souvent donné...) effectue une marche aléatoire, la direction de chaque nouveau pas étant choisie au hasard. Dans ce modèle simple, de nombreuses propriétés statistiques peuvent être étudiées, comme le déplacement typique effectué par le marcheur ou la probabilité de revenir à son point de départ, après n pas. Naturellement, les physiciens se sont progressivement intéressés à des quantités physiquement pertinentes de plus en plus complexes, comme par exemple la caractérisation statistique du territoire déjà visité à une date donnée. L’importance de cette grandeur vient du rôle crucial qu’elle joue pour quantifier l'efficacité de divers processus d'exploration stochastique, tels que la recherche de nourriture par les êtres vivants (cellules, animaux) ou le piégeage de molécules diffusantes.
Le problème est que cette caractérisation est un problème intrinsèquement difficile, lié au fait que le territoire visité est un concept qui mobilise une information acquise sur l’ensemble de la trajectoire du mouvement brownien. Dans un travail récent, une collaboration impliquant le Laboratoire de physique théorique de la matière condensée (LPTMC, CNRS / Sorbonne Université) et le Santa Fe Institute a montré qu’une grandeur étroitement liée à l’exploration du territoire d’un « marcheur » brownien, le temps τ séparant le passage par deux sites non encore explorés (cf figures a et b), pouvait être caractérisée précisément, même dans des cas complexes, par exemple lorsque le marcheur se déplace dans une géométrie fractale. Techniquement, la détermination des propriétés statistiques de τ est un problème ardu, car le domaine des sites déjà explorés à une certaine date est extrêmement irrégulier, en constante expansion et dépendant de toute l’histoire antérieure du marcheur (figure c). Les chercheurs montrent que la distribution des temps τ suit des lois essentiellement universelles, réparties en trois catégories bien distinctes, correspondant à trois grandes classes de marches aléatoires (qui se distinguent selon la dimension, fractale ou non, de l’espace qu’elles explorent, le fait que leur diffusion soit normale ou non, etc…). Ce travail est publié dans Nature Communications.
Références
Universal exploration dynamics of random walks, L. Régnier, M. Dolgushev, S. Redner, O. Bénichou, Nature Communications, paru le 04 février 2023.
DOI: 10.1038/s41467-023-36233-5
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