Un réseau de jonctions Josephson peut produire un courant quantifié

Résultat scientifique

Des chercheurs et chercheuses ont mesuré pour la première fois un effet prédit il y a quarante ans, la possibilité de mesurer précisément des quantums de courant électrique passant une jonction Josephson.

La jonction Josephson est l'un des systèmes les plus étudiés en physique de la matière condensée. Elle consiste en deux supraconducteurs séparés par une fine couche isolante, qui agit comme une barrière entre eux. Dans un métal supraconducteur, le courant circule sans dissipation grâce aux « paires de Cooper », ces paires d’électrons qui s’apparient quantiquement grâce au réseau atomique. La couche isolante de la jonction Josephson constitue pour ces paires une barrière, mais si elle est suffisamment fine, elles peuvent la traverser grâce à l’effet tunnel quantique, ce qui donne lieu à un certain nombre de phénomènes physiques remarquables.

Depuis les années 60, les jonctions Josephson ont non seulement été étudiées à un niveau fondamental mais ont également donné lieu à de multiples applications. On peut citer par exemple l’élaboration de magnétomètres précis ou de détecteurs de photons, et elles sont en outre les éléments constitutifs des bits quantiques dans les ordinateurs quantiques supraconducteurs. De plus, les jonctions Josephson ont une application fondamentale en métrologie, où elles sont utilisées pour définir le Volt dans le système international d'unités. Par un phénomène connu sous le nom de "marches de Shapiro", une jonction illuminée par une radiation aux fréquences micro-ondes produit des marches de tension quantifiées, qui sont déterminées uniquement par la fréquence d’illumination et les constantes fondamentales. La fréquence étant la grandeur dont la mesure est la plus précise, on obtient une définition extrêmement calibrée de ce que représente 1 Volt en reliant les marches de Shapiro aux fréquences des ondes électromagnétiques qui les créent. L'étalon de tension dit de Josephson est ainsi aujourd'hui au cœur de la métrologie quantique, avec également l'effet Hall quantique qui a permis de réduire considérablement les incertitudes reliées à la mesure des résistances. Seul le courant reste une grandeur difficile à mesurer avec une très grande précision.

Or, il y a près de quarante ans, des théoriciens ont montré que si les paramètres de l’expérience sont bien choisis, une jonction Josephson pouvait non seulement produire une tension quantifiée, mais aussi des pas de courant quantifiés, appelés pas de Shapiro duaux. Cependant, la confirmation de cet effet s’est fait attendre durant plusieurs décennies, jusqu'aux travaux récents de deux groupes indépendants opérant sur des systèmes différents. L’une de ces équipes est composée de scientifiques de l'Institut Néel (NEEL, CNRS), à Grenoble, qui ont récemment obtenu la première preuve de plateaux de courant quantifiés dans un réseau de jonctions Josephson. Les conditions théoriques pour observer ces plateaux ont été réunies en insérant une jonction ultra-mince entre deux super-inductances formées de jonctions plus grandes. Le dispositif a été étudié à l'aide d'un nouvel appareil expérimental conçu pour combiner des mesures en courant continu et en hyperfréquence. Les chercheurs ont observé des plateaux de courant résultant du transfert de paires de Cooper uniques de charge 2e médié par une radiation micro-onde de fréquence f, développant une intensité élémentaire (2e)f.

Ce résultat devrait avoir un impact significatif dans le domaine de la métrologie quantique, puisqu'il pourrait être utilisé à l'avenir pour définir plus précisément l'Ampère dans le système international d'unités. Il est de plus particulièrement intéressant pour la physique des jonctions Josephson elle-même, qui jusqu'à ce jour continue d'être un champ de recherches très actif. Ces résultats sont publiés dans Nature Physics.

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Figure : Exemple de plateaux de courant quantifiés (soulignés par les lignes horizontales) obtenus dans un réseau de jonctions Josephson. La hauteur de ces plateaux est définie par la fréquence de la radiation micro-onde illuminant ce réseau et est donnée par la charge d’une paire de Cooper. Les différentes couleurs correspondent à différentes fréquences d’excitation.
© Institut Néel

 

Référence

Evidence of dual Shapiro steps in a Josephson junction array. N. Crescini, S. Cailleaux, W. Guichard, et al. Nature Physics, paru le 02 mars 2023.
DOI : 10.1038/s41567-023-01961-4
Archive ouverte arXiv 

Contact

Nicolas Roch
Chargé de recherche CNRS à l'Institut Néel
Communication CNRS Physique