Des cellules de la surface d’un sépale (organe vert protégeant la fleur avant son ouverture) sont observées avec un microscope.
Des cellules de la surface d’un sépale sont observées avec un microscope. Chaque région colorée correspond à une cellule, les teintes bleues correspondant à une croissance lente et les rouges à une croissance rapide.© Corentin Mollier et Antoine Fruleux

La mémoire des cellules, un paramètre clé pour la morphogenèse

Résultat scientifique

Quels principes régissent l’agencement des organismes vivants ? En combinant modèles physiques et analyses expérimentales, une collaboration internationale met en évidence une loi générique reliant l’organisation spatiale des cellules à leur capacité à transmettre fidèlement leurs spécificités lors des divisions cellulaires.

Une caractéristique fascinante du vivant est sa capacité à s’organiser de manière autonome et spontanée. À la différence d’une sculpture qui prend forme sous les mains de l’artiste, aucun ordonnateur n’organise les êtres vivants. Au lieu de cela, comme si la glaise pouvait se déformer pour devenir statue, les cellules interagissent, se coordonnent, pour générer des êtres organisés. Les comportements cellulaires permettant une telle mise en forme restent cependant difficiles à comprendre, d’autant que ceux-ci comprennent une part d’aléa. Les cellules se comportent en effet de manière autonome et paraissent comme les touches de couleurs d’un tableau pointilliste : hétérogènes, leur cohérence se révèle dans une vue d’ensemble. Comment les fluctuations observées aux échelles cellulaires impactent les plus grandes échelles et l’organisation des êtres vivants ?

Pour répondre à cette question, une collaboration internationale impliquant notamment des chercheurs du Laboratoire d’Hydrodynamique de l’École Polytechnique (LadHyX, École Polytechnique / CNRS), du Laboratoire de Physique Théorique et Modèles Statistiques (LPTMS, Université Paris-Saclay / CNRS) et du laboratoire Reproduction et développement des plantes (RDP, CNRS / ENS de Lyon / INRAE) a étudié la formation des boutons floraux de la plante Arabidopsis thaliana (l’arabette des dames, une plante modèle en biologie, car possédant un génome restreint). Ils ont analysé le développement des sépales, ces organes verts qui protègent les fleurs avant leur ouverture, et ont cherché à comprendre si les cellules y croissent de manière coordonnée. À l’aide d’une nouvelle méthode d’analyse qu’ils ont développée, ils ont disséqué les variations spatiales de croissance des cellules dans l’organe et sont parvenus à la conclusion que celles-ci ne croissent ni indépendamment les unes des autres ni de manière uniforme mais plutôt à l’unisson de leurs voisines. La croissance est donc hétérogène mais varie au-delà de l’échelle de la cellule. Puis, à l’aide d’un modèle physique, ils ont expliqué ce phénomène par un effet de mémoire : la persistance temporelle des fluctuations de croissance induit leur étalement spatial.

On peut comprendre intuitivement ces résultats. Les cellules prolifèrent en se divisant. Si les divisions cellulaires induisent des changements tels que les deux cellules qui résultent d’une division diffèrent totalement de celle qui les a engendrées, alors une cellule initiale donnera lieu, au gré des divisions successives, à un ensemble hétérogène de cellules. À L’inverse, si les propriétés des cellules sont préservées au fil du temps et des divisions cellulaires, alors une cellule initiale engendrera un groupe homogène de cellules. Dans le cas intermédiaire où les divisions préservent partiellement les propriétés des cellules, leur organisation spatiale dans l’organe dépendra de leur généalogie, c’est-à-dire de la succession des divisions qui les a produites. Des cellules voisines auront un dernier ancêtre commun récent duquel peu de divisions les sépareront, et présenteront par conséquent un haut degré de similitude. À l’inverse, des cellules distantes auront un dernier ancêtre commun ancien et seront par contre plus dissemblables. On comprend ici que le degré de similitude entre cellules distantes sera d’autant plus fort que les changements induits par les divisions cellulaires seront faibles.
Concrètement, la variabilité de croissance cellulaire observée dans les boutons floraux de l’arabette des dames (cf. figure) a été étudiée. L'étude confirme que l’étendue spatiale des fluctuations de croissance des cellules est dictée par la tendance de ces dernières à maintenir leurs spécificités de croissance au cours du temps et au gré des divisions.

Ces résultats, obtenus pour des organes floraux et sur de petits échantillons, doivent encore être confirmés et généralisés. Ils permettent néanmoins de comprendre les contraintes qui s’appliquent à la croissance des cellules au cours du développement d’organismes vivants, et pourraient avoir d’autres domaines d’application comme l’étude de la croissance des tumeurs. Les outils développés pourraient de plus améliorer la caractérisation des processus biologiques qui permettent aux cellules de se coordonner. Ces résultats sont publiés dans les Proceedings of National Academy of Sciences.

Des cellules de la surface d’un sépale (organe vert protégeant la fleur avant son ouverture) sont observées avec un microscope.
Des cellules de la surface d’un sépale (organe vert protégeant la fleur avant son ouverture) sont observées avec un microscope. Chaque région colorée correspond à une cellule, les teintes bleues correspondant à une croissance lente et les rouges à une croissance rapide.  
© Corentin Mollier et Antoine Fruleux

 

Références

Growth couples temporal and spatial fluctuations of tissue properties during morphogenesis. Antoine Fruleux, Lilan Hong, Adrienne H. K. Roeder, Chun-Biu Li, Arezki Boudaoud. Proceedings of the National Academy of Sciences. Publié le 30 mai 2024
Doi : 10.1073/pnas.2318481121
Archives ouvertes : bioRxiv  

 

Contact

Antoine Fruleux
Chargé de recherche CNRS au Laboratoire de physique théorique et modèles statistiques (LPTMS)
Communication CNRS Physique